La grippe A(H1N1) défraye les manchettes depuis quelque temps et, quoiqu’elle semble avoir perdu la fougue médiatique initiale, le nombre de cas répertoriés est toujours en croissance. Si la progression du virus est actuellement lente, l’automne risque de donner lieu à une deuxième vague d’éclosion. Cette éventualité alimente certes les réflexions scientifiques, mais soulève également son lot de questions juridiques, notamment dans quelle mesure la responsabilité civile des établissements pourrait être engagée dans une telle hypothèse. Cette chronique présente un rappel des règles applicables à la responsabilité civile des établissements de santé et de services sociaux ainsi que des moyens de se prémunir contre d’éventuelles poursuites.

À l’instar de tout recours en responsabilité civile, trois éléments sont essentiels afin d’établir un droit à une compensation financière : une faute, un préjudice ainsi qu’un lien de causalité entre les deux.1

NOTION DE FAUTE ET OBLIGATIONS DE L’ÉTABLISSEMENT

La faute génératrice de responsabilité sera celle commise par une personne qui s’écarte de la conduite de la personne raisonnablement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances. Cette faute peut découler d’une omission ou d’une action, soit le défaut de faire ce qu’elle aurait dû ou, inversement, poser un geste qu’elle n’aurait pas dû poser.

Quelles actions ou omissions pourraient être qualifiées de faute pour un établissement? Celles-ci pourraient être nombreuses et chaque cas doit faire l’objet d’une étude particulière. Outre les obligations découlant du C.c.Q., les principales obligations susceptibles d’entraîner une responsabilité directe naissent de la Loi sur les services de santé et les services sociaux2.

L’établissement doit accueillir et évaluer les usagers et, à défaut de les orienter vers une ressource plus appropriée, leur dispenser lui-même les services requis3. Ceux-ci doivent être de qualité, adéquats sur les plans scientifique, humain et social, et rendus de façon continue, accessible, sécuritaire et respectueuse des droits des personnes4. Plus spécifiquement dans le contexte d’une pandémie, les obligations de l’établissement sont davantage précisées à l’article 9 du Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements5 qui prévoit:

9. Un établissement, à l’exception d’un centre de services sociaux6, doit prendre les dispositions qui s’imposent pour prévenir et enrayer la contagion et l’infection. Il doit être en mesure d’isoler les personnes atteintes, ou susceptibles de l’être, d’une maladie contagieuse ou infectieuse. En cas d’épidémie, l’établissement peut décider d’une fermeture totale ou partielle.

Ces obligations fournissent une illustration des manquements qui pourraient être constitutifs de fautes pour l’établissement. Conséquemment, le défaut de faire le nécessaire afin de prévenir et contenir une contagion ou d’isoler les sujets atteints pourrait être considéré comme une omission imputable à l’établissement.

Précisons à cet égard que l’intensité de l’obligation de sécurité d’un établissement est de moyens7. Ainsi, l’établissement doit agir comme un établissement raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances et prendre les moyens raisonnables afin de répondre à ses obligations.8 Je conclurais comme lui que l’hôpital a fait la preuve qu’il a pris toutes les précautions raisonnablement possibles et qu’on ne peut lui reprocher aucune faute » (par. 6 et 7).]

À titre d’exemple, dans une décision récente rendue en Colombie-Britannique, un plaignant reprochait à l’établissement de ne pas avoir pris les mesures raisonnables pour isoler un patient tuberculeux.9 Le tribunal rappelle qu’il revient au médecin de déterminer si un usager est contagieux et s’il doit être isolé. Lorsque la décision est prise de ne pas isoler un patient, l’établissement n’a pas à prévenir les visiteurs de tous les usagers « possiblement contagieux », auquel cas l’efficacité des mises en garde pour les patients isolés et réellement contagieux serait amoindrie. Il ne faut pas oublier que les hôpitaux accueillent des personnes malades et l’obligation de l’établissement est de prendre les moyens afin de le rendre raisonnablement sécuritaire.10 Quoique cette décision soit fondée sur une loi provenant d’une province de common law, nous pouvons en tirer certains enseignements.

LIEN DE CAUSALITÉ ET FARDEAU DE PREUVE

La preuve du lien de causalité, soit que le préjudice résulte de la faute et non d’une autre source, est très complexe en matière de responsabilité médicale et hospitalière.11 En l’espèce, la période d’incubation de la grippe et les risques de contagion présents à de multiples endroits, particulièrement en contexte de pandémie, sont des exemples d’obstacles pour la victime. Puisque seul le dommage qui est une suite immédiate et directe de la faute est susceptible d’être compensé12, la preuve devra révéler que la présence dans un établissement est la cause la plus probable du préjudice. Ce lourd fardeau, selon la balance des probabilités, revient à la victime.

À cet égard, soulignons que les victimes peuvent évidemment être des usagers, leurs proches ou le personnel de l’établissement, mais également tout autre visiteur, fournisseur ou autre personne transigeant avec l’établissement.

MOYENS DE SE PRÉMUNIR

Comment peut-on diminuer les risques de fautes causales dans les établissements? Aucune formule n’offre de garantie à cet égard, mais l’accent devrait être mis sur la prévention, l’information et la formation. Des règles claires, sous forme de lignes directrices ou de politiques, devraient être établies.13 Plus encore, la participation du comité de gestion des risques est requise, au même titre que pour les infections nosocomiales, afin de veiller à « en prévenir l’apparition et en contrôler la récurrence. »14

En septembre 2007, la coroner Catherine Rudel- Tessier émettait des recommandations en regard de l’éclosion de la bactérie Clostridium difficile15. Celles faites à l’endroit de l’ensemble des établissements demeurent d’actualité et devraient être relues avec une possible deuxième vague de grippe A(H1N1) en filigrane.16

Dans l’hypothèse où un système efficace et organisé de gestion de la grippe A(H1N1) est mis en place, prouver que l’établissement a été négligent et que cette faute a causé un dommage, tel une infection majeure, deviendra d’autant plus ardu.

Tous les efforts de prévention, sur les plans scientifique et organisationnel, contribueront à protéger l’ensemble des personnes gravitant entre ses murs.

RESPONSABILITÉ DU FAIT D’AUTRUI ET RESPECT DES DIRECTIVES DE LA SANTÉ PUBLIQUE

Ajoutons que l’établissement est également imputable des fautes commises par ses salariés. Suivant le principe de la responsabilité du commettant17, la preuve de la faute du salarié, d’un dommage et du lien de causalité engagerait la responsabilité de l’établissement et l’obligerait à dédommager la victime.

Le ROAÉ crée également l’obligation pour l’établissement de s’assurer du respect des directives établies :

10. Un établissement doit s’assurer que chaque personne y oeuvrant se soumette aux normes déterminées par le chef du département de santé communautaire en matière d’hygiène, de prophylaxie et de contrôle microbiologique et chimique.

À cet égard, les directions de santé publique sont étroitement impliquées depuis déjà plusieurs mois et le défaut de suivre leurs recommandations peut être une source de manquements.

Une fois de plus, la diffusion d’informations, la formation et la prévention effectuées auprès des salariés oeuvrant au sein des établissements sont susceptibles de diminuer non seulement les erreurs, mais assure à l’établissement le respect de ses obligations en vertu du ROAÉ.

CONCLUSION

L’établissement n’a pas à garantir que personne ne contractera une infection fortement répandue dans ses installations; il doit cependant prendre les moyens raisonnables pour l’éviter. La collaboration de tous, intervenants, usagers et visiteurs, est essentielle afin que les efforts entrepris ne demeurent pas vains et des sanctions pourraient être prises à l’égard de ceux qui ne respectent pas les règles établies.
Les établissements ayant mobilisé les effectifs et le matériel nécessaires afin d’exercer une prévention tentaculaire pourront se défendre plus aisément, voire même se protéger contre d’éventuelles poursuites. Il faudra cependant s’assurer d’identifier et de contrôler tous les foyers de risques, notamment en raison du contexte de pénurie de ressources. Par exemple, le recours aux salariés d’agences requiert de s’assurer que ces personnes soient tout aussi bien informées et connaissent suffisamment les mesures de prévention. Plus encore, un relâchement de la surveillance du personnel dans l’accomplissement de leurs tâches prophylactiques pourrait être une source de lacunes potentielles. Le défi sera donc de se prémunir contre toute brèche dans l’action préventive actuellement en cours, brèche qui rend les établissements vulnérables.

Bref, la prévention devra être toute aussi contagieuse que la grippe A(H1N1), de façon à ce que non seulement les effectifs médicaux gagnent en efficacité, mais que la santé de tous s’en trouve améliorée et que les litiges en ce domaine diminuent.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.