Le 14 juin 2019, le Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, M. Jean Boulet, présentait le projet de loi n° 33, la Loi modifiant le Code du travail concernant le maintien des services essentiels dans les services publics et dans les secteurs public et parapublic1, visant à redéfinir les services essentiels à maintenir en cas de grève dans les secteurs public et parapublic.

La présentation de ce projet de loi prévoyant certaines modifications aux dispositions du Code du travail n’est pas surprenante, s’inscrivant dans le contexte où, le 31 août 2017, le Tribunal administratif du travail (« TAT ») a rendu une décision importante portant sur l’encadrement du droit de grève dans le secteur de la santé et des services sociaux. Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal — CSN et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal2, le juge administratif Pierre Flageole a déclaré constitutionnellement inopérant l’article 111.10 du Code du travail, cet article prévoyant un pourcentage fixe de salariés à maintenir lors d’une grève dans un établissement. Dans cette affaire, le TAT, en appliquant le test de l’arrêt Saskatchewan3, a estimé que le fait que le législateur détermine unilatéralement des pourcentages minimums de salariés à maintenir au travail pour chaque type d’établissements, que ces pourcentages s’appliquent obligatoirement par unités de soins et par catégories de services, et qu’aucun tribunal ou autre organisme indépendant n’ait de droit de regard sur ces pourcentages, allait au-delà de ce qui était raisonnablement nécessaire afin d’assurer une prestation des services essentiels pendant une grève. Il a ainsi conclu que ce régime portait atteinte, plus qu’il n’en n’était nécessaire, au droit de grève4. Le TAT a, toutefois, suspendu l’effet de son jugement déclaratoire pendant une période de douze mois suivant sa décision. Cette suspension visait à permettre aux parties de trouver une solution tenant compte de la nécessité de protéger la santé du public, tout en permettant également aux syndicats de profiter de leur droit de grève5.

À l’aube de la prochaine négociation dans les secteurs public et parapublic prévue cet automne, il importe de se pencher sur certaines des modifications proposées au Code du travail par le législateur. Il va sans dire que le projet de loi n’étant pas encore adopté, des amendements sont toujours possibles.

Modifications apportées au Code du travail

L’adoption de ce projet de loi prévoit essentiellement que de nouveaux pouvoirs seraient désormais attribués au Tribunal administratif du travail. Ainsi, le législateur a exprimé son désir de confier au TAT le pouvoir, présentement dévolu au gouvernement, d’ordonner le maintien des services essentiels lorsqu’une grève pourrait avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique6.

En plus de ce pouvoir, c’est désormais également le TAT (plutôt que le gouvernement) qui se verra apte à suspendre l’exercice du droit de grève si celui-ci juge que, lors d’une grève appréhendée ou en cours, les services essentiels prévus ou effectivement rendus sont insuffisants et que cela mettrait en danger la santé ou la sécurité publique7. Les termes utilisés pour cette modification à l’article 111.0.24 du Code du travail laissent ainsi entrevoir que le degré de justification imposé aux établissements pourra être difficile à remplir. En effet, de façon à démontrer la présence de ces deux critères, c’est à dire que les services essentiels se trouvent à être insuffisants et qu’il y a présence d’un danger pour la santé ou la sécurité publique, les établissements devront nécessairement présenter une preuve importante quant à une insuffisance de personnel en place.

Le TAT pourra alors décider d’enquêter ou de rendre une ordonnance, à l’égard des services publics et dans les secteurs public et parapublic, dans les cas où les services essentiels prévus à une entente ou à une liste ne s’avèrent pas suffisants.

Outre ces précédents changements, la modification la plus substantielle à l’égard des secteurs public et parapublic est le remplacement de l’intégralité des articles 111.10 et 111.10.1 du Code du travail. Ainsi, l’obligation actuellement imposée aux parties (employeur et association accréditée) est celle de maintenir des services essentiels en cas de grève en se basant sur un pourcentage de salariés en fonction par quart de travail. À l’article 12, le projet de loi prévoit l’obligation pour les parties de maintenir des services essentiels. Cette même disposition précise que « (c)es services sont ceux dont l’interruption pourrait avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique »8. Cette modification apportera vraisemblablement son lot de difficultés que nous analyserons plus bas.

À défaut d’une telle entente, une liste prévoyant les services essentiels à maintenir en cas de grève9 devra alors être transmise au TAT par l’association accréditée. Le TAT pourra approuver celle-ci telle quelle ou y apporter des modifications10.

Impacts pour les établissements

Au regard de ces modifications au Code du travail, et sous réserve de l’adoption du projet de loi tel que déposé, la répercussion concrète sur les établissements résidera ultimement dans l’obligation de négocier avec les syndicats les services essentiels à maintenir en cas de grève, cette négociation se basant sur de nouveaux critères et étant soumise aux délais prévus par le projet de loi n° 33.

Ces critères que l’on retrouve dans le projet de loi actuel sont :

  • Les services essentiels devront être répartis par unité de soins et catégories de soins ou de services;
  • Le fonctionnement normal des unités de soins intensifs et des unités d’urgence devra être assuré en tout temps;
  • Le libre accès des usagers de l’établissement devra être assuré.

La négociation fondée sur le respect de ces critères présentera indubitablement certaines complications. On se rappellera qu’antérieurement, le Code du travail prévoyait que le maintien des services essentiels s’établissait sur la base du pourcentage de salariés à maintenir par quart de travail. Désormais, c’est plutôt sur la base du maintien des services essentiels dont l’interruption pourrait avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique que les négociations porteront. Or, cette dernière notion fait place à une subjectivité plus grande que les critères, précédemment utilisés, qui eux, étaient fondés sur des pourcentages. À cet égard, il faudra éviter d’adopter une approche systématique, appliquant les mêmes principes à l’ensemble des établissements visés, mais plutôt procéder à une approche se ralliant à la structure propre à chaque établissement, dite au cas par cas.

Il y aura aussi lieu de respecter les délais se rapportant à la négociation des services essentiels à maintenir. Pour une association accréditée visée par une convention collective expirant le 31 mars 2020, cette négociation devra débuter en date de sanction de la loi, cette date n’étant toujours pas connue à l’heure actuelle. Ceci entraînera nécessairement l’obligation de débuter sans délai les préparations de telles négociations. Dans le cas d’une association accréditée visée par une convention collective qui expire le 31 mars 2021, cette négociation devra plutôt débuter en date du 2 octobre 202011.

Au final, il faut retenir que toute entente devra être transmise au Tribunal pour approbation, celui-ci pouvant notamment y apporter des modifications, ou, de son propre chef ou à la demande d’une partie, désigner une personne afin d’aider les parties à conclure cette dite entente12.

Cela dit, nous suivrons le cheminement de ce projet de loi. L’équipe de Monette Barakett demeure à votre disposition afin de vous accompagner dans la navigation de ces changements éventuels.

Références

1 Loi modifiant le Code du travail concernant le maintien des services essentiels dans les services publics et dans les secteurs public et parapublic, projet de loi n° 33, (présentation – 14 juin 2019), 1re sess., 42e légis. (Qc)

2 2017 QCTAT 4004

3 Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4

4 Syndicat des travailleuses et travailleurs du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal — CSN et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, préc. note.2, par. 241 et 242

5 Id., par. 249 et 250

6 Loi modifiant le Code du travail concernant le maintien des services essentiels dans les services publics et dans les secteurs public et parapublic, préc., note.1, art. 3

7 Id., art. 9

8 Id., art. 12

9 Id., art. 14

10 Id., art. 16

11 Id., art. 22

12 Id., art. 12

 

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