Dans une chronique de mars 2004, notre cabinet a écrit sur le sort des salariés syndicables non syndiqués (« SNS ») avec l’entrée en vigueur de la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales (L.R.Q. c. U-0.1) (la « Loi 30 »).
Nous faisions alors état qu’avec l’adoption de la Loi 30, tous les salariés, y compris les SNS, doivent être couverts par un syndicat représentant une des quatre catégories de personnel, à l’exception de ceux qui représentent l’employeur dans leurs fonctions.
Depuis cette chronique, les syndicats ont, à quelques reprises, déposé à la Commission des relations du travail (la « CRT ») des requêtes en vertu de l’article 39 du Code du travail (L.R.Q., c. C-27) pour que soient inclus dans l’unité de négociation pour laquelle ils ont été accrédités les salariés détenant des postes SNS et qui ont été expressément exclus par l’employeur.
Une décision-clé a confirmé les principes devant être appliqués par les commissaires depuis la Loi 30. Dans l’affaire Syndicat du personnel de bureau, des techniciens et des professionnels de l’administration du CSSS Hochelaga- Maisonneuve, Olivier-Guimond et Rosemont (SCFP-section locale 4714-FTQ) et autre c. Centre de santé et de services sociaux de Hochelaga-Maisonneuve, Olivier-Guimond et Rosemont (2005 QCCRT 0479), le syndicat était accrédité pour représenter les salariés de la catégorie du personnel de bureau, des techniciens et des professionnels de l’administration.
L’employeur avait exclu l’agent de ressources humaines, le responsable de la paie et l’agent de gestion financière en soumettant qu’ils représentaient l’employeur dans leurs fonctions. Le commissaire Guy Roy a rejeté la requête du syndicat puisque l’agent de ressources humaines est membre de trois comités paritaires de santé et sécurité au travail à titre de représentant de l’em- ployeur. Il détermine les orientations et les positions patronales relativement aux questions de santé et sécurité du travail. Il sélectionne, supervise et évalue les instructeurs reliés au programme de déplacement sécuritaire des bénéficiaires. En ce qui concerne la responsable du service de la paie, elle dirige deux employés, s’occupe des horaires, des demandes de congé, des absences et des retards de ces employés. Elle a le pouvoir d’autoriser leur congé sans solde et de leur imposer des mesures disciplinaires. Finalement, en ce qui a trait à l’agent de gestion financière, le commissaire a conclu qu’il est lui aussi le représentant de l’employeur puisqu’il dirige six employés, contrôle leurs absences et consacre 70% de son temps à gérer tout le service en remplacement de son directeur. L’extrait suivant de la décision a été repris par la suite par d’autres commissaires appelés à statuer sur une requête en vertu de l’article 39:
« [58] La Loi 30 n’a pas écarté les principes généraux et la jurisprudence découlant du Code du travail. Elle a notamment regroupé sous quatre catégories distinctes les salariés oeuvrant sous différents titres d’emploi. Il est faux de prétendre que la simple mention du titre d’emploi dans une annexe de la Loi 30 ou dans la convention collective confère définitivement à une personne le statut de salarié. A contrario, un titre d’emploi n’apparaissant pas à l’annexe de la Loi 30, comme celui de madame Delisle, ne confère pas d’emblée le statut de représentant de l’employeur. Cela ne suffit pas à écarter l’analyse des tâches réellement exercées par une personne lors d’une contestation, comme dans le présent cas.
[59] En effet, comment croire que toutes les personnes visées par un titre d’emploi spécifique chez l’employeur, au surplus dans tous les établissements de santé au Québec, font exactement les mêmes tâches et mêmes fonctions si ce n’est que par une analyse approfondie de chaque cas d’espèce. En cas de contestation, c’est à la Commission que ce rôle est dévolu. Elle détermine le statut d’une personne en tenant compte des tâches et fonctions réellement exercées par cette dernière, et non pas en se limitant à son titre d’emploi.
[60] L’article 1 paragraphe l) du Code du travail exclut de la notion de salarié une personne qui, au jugement de la Commission, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés, ou est un fonctionnaire dont l’emploi est de caractère confidentiel.
[61] Le pouvoir d’embaucher et de congédier est un des attributs du pouvoir de direction, mais il n’est pas absolu. Il n’est pas obligatoire qu’un employé possède le pouvoir d’embaucher ou de congédier pour qu’on le considère comme un représentant de l’employeur dans ses relations avec les salariés. Il faut analyser l’importance des pouvoirs exercés, leur fréquence ainsi que le degré d’autonomie et de discrétion de l’employé.
[…]
[63] Finalement, il est depuis longtemps établi qu’un employé ne peut être seulement un peu représentant de l’employeur. Il l’est ou ne l’est pas. » (pages 13-14)
Dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2718 c. Les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw (2007 QCCRT 0073), le syndicat, accrédité pour représenter la catégorie du personnel paratechnique, des services auxiliaires et de métiers, a déposé une requête pour inclure les chefs d’équipe dans son unité.
La commissaire Arlette Berger a rejeté la requête puisqu’elle considère que les chefs d’équipe sont « les yeux et les oreilles » de l’employeur (p.11).1 Ils sont les seuls superviseurs et évaluateurs d’une trentaine d’agents d’intervention. Ils interviennent activement dans la détermination de certaines conditions de travail de ces derniers. Ils n’imposent pas de mesures disciplinaires mais assignent, contrôlent et surveillent leur travail. Ils participent à leur embauche. Aussi, puisque ces postes étaient exclus depuis 1983 par décision d’un commissaire du travail et que les fonctions n’ont pas changé significativement depuis, la commissaire conclut qu’il n’y a pas lieu d’inclure les chefs d’équipe dans l’unité du syndicat. Enfin, la commissaire rappelle que même si leur autorité peut paraître minime, il n’est pas nécessaire d’avoir exercé un pouvoir pour le détenir.
Par ailleurs, dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de santé et de services sociaux des Aurores- Boréales – CSN c. Centre de santé et de services sociaux des Aurores-Boréales (2006 QCCRT 0440), le syndicat était accrédité pour représenter la catégorie du personnel de bureau, des techniciens et des professionnels de l’administration. L’employeur avait exclu le poste de technicienne en formation et un poste d’adjointe administrative, tous deux classifiés comme étant des postes SNS. Le commissaire Michel Marchand a rejeté la requête du syndicat et a confirmé le statut de représentantes de l’employeur des deux salariées. En effet, la technicienne en formation reçoit les demandes de formation des syndicats. Si elle refuse, ceux-ci peuvent déposer un grief et c’est elle qui tente de trouver un règlement qu’elle signera à titre de représentante de l’employeur. Si elle était dans l’unité de négociation du syndicat, le commissaire conclut qu’elle serait en conflit d’intérêts. En ce qui a trait à l’adjointe administrative, elle est aussi exclue de l’unité de négociation du syndicat puisqu’elle est la supérieure immédiate de la commis sénior à la documentation et de l’animatrice de pastorale. Elle fait leur évaluation de rendement et leur impose des mesures disciplinaires.2
Le commissaire ajoute que même si les responsabilités de l’adjointe administrative à l’égard des deux salariés se sont ajoutées après le dépôt de la requête du syndicat, c’est l’exercice effectif des tâches qui compte au moment de l’audition de la requête.
Cependant, il mentionne que si, dans les faits, elle n’exerce pas véritablement de responsabilité hiérarchique auprès des deux salariés, le syndicat pourra toujours déposer une nouvelle requête. Aussi, dans l’affaire APTS-Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (CPS et APTMQ) c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal (2006 QCCRT 0432), le syndicat, accrédité pour représenter la catégorie des techniciens et des professionnels, demandait que soient inclus deux ingénieurs biomédicaux responsables de site. Le commissaire Mario Chaumont confirme le statut de représentant de l’employeur de ces deux salariés même si « les attributs d’un représentant de l’employeur ne ressortent pas aussi clairement, ils en détiennent suffisamment » (p.6). Les deux responsables rencontrent des salariés pour les aviser de corriger leur comportement. Ces rencontres sont de nature disciplinaire. Ils participent aussi aux discussions entourant la remise d’une mesure disciplinaire. Le commissaire conclut qu’ils exercent une prérogative appartenant à l’employeur.
Enfin, dans la décision Syndicat des employés-es du Centre hospitalier de l’Université de Montréal – CSN c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal (2006 QCCRT 0279), la commissaire Huguette Vaillancourt a conclu que les salariés qui agissaient à titre de conseiller en communication étaient des représentants de l’employeur puisqu’ils recevaient, entre autres, beaucoup d’informations privilégiées. Ils avaient accès aux plans stratégiques de la direction des ressources humaines. Il y avait, selon la commissaire, un risque important de conflits d’intérêts s’ils n’étaient pas considérés comme des représentants de l’employeur.
CONCLUSION
L’entrée en vigueur de la Loi 30 n’a pas modifié les principes généraux reconnus par la jurisprudence en ce qui a trait à la notion de représentant de l’employeur. De plus, malgré les cas ci-haut mentionnés, d’autres décisions ont été rendues par la CRT dans la même période où elle a décidé que la personne ne représentait pas l’employeur dans ses fonctions. Il faut donc se rappeler que dans tous les cas, il sera important de démontrer que la personne participe aux décisions pour et au nom de l’employeur. Si elle participe, entre autres, à l’embauche de personnel, si elle est le supérieur immédiat d’un ou de plusieurs salariés et si elle peut leur imposer des mesures disciplinaires, ces éléments militeront en faveur de son exclusion de l’unité de négociation.