Le 10 décembre 2009, la Cour d’appel1 a rendu deux importantes décisions en matière de règlement de zonage, dans les affaires Immeubles Paroli, s.e.n.c. c. Québec (Ville de)2 et St-Hilarion (Municipalité de) c. 3104-9364 Québec inc.3 Ces décisions ont un impact favorable sur la réinsertion sociale ou le maintien à domicile des personnes qui y reçoivent des services de santé ou des services sociaux sans égard à leur intensité. Cette prise de position de la plus haute cour du Québec freinera ainsi les ardeurs de certaines municipalités tentées d’exclure des quartiers résidentiels les usages liés à l’encadrement d’une personne ou aux services qu’elle reçoit à domicile. À l’appui de cette exclusion, ces municipalités invoquent à tort la transformation de l’usage de l’immeuble en usage public et institutionnel.
Dans cette chronique, nous présentons l’affaire des Immeubles Paroli. Cette société en nom collectif est propriétaire d’un immeuble de type bungalow situé dans une zone autorisant deux catégories d’usages : les habitations unifamiliales isolées, jumelées ou bi isolées et les parcs et espaces verts. Un établissement public, le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle de Québec (CRDI) loue cet immeuble, dans le cadre de son programme résidentiel, après avoir conclu une entente avec le Centre hospitalier Robert-Giffard pour la prise en charge et la réinsertion sociale de plusieurs personnes lourdement handicapées.
Avec leur collaboration et leur consentement, le CRDI intègre dans le bungalow cinq personnes qui présentent une déficience intellectuelle. Elles exigent un important niveau d’encadrement et de services en raison de leur état de santé. Le CRDI qualifie ce milieu de ressource à assistance continue (RAC). Deux employés du CRDI assurent une présence vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Un inspecteur de la Ville de Québec visite les lieux. Il constate que des travaux4 ont été réalisés sans permis et que, de son point de vue, l’immeuble a été transformé en « centre d’accueil ». Comme le règlement de zonage ne permet pas l’usage institutionnel et que Immeubles Paroli ne se conforme pas à un avis de correction, la ville porte des accusations.
Le juge Cloutier de la Cour municipale déclare coupable Immeubles Paroli sur la réalisation de travaux de construction sans permis. Toutefois, la Cour l’acquitte sur l’usage reproché estimant plutôt que l’organisation matérielle de l’immeuble tient plutôt de l’organisation d’une résidence. Le juge souligne notamment que :
« [138] Comment peut-on soutenir que le lieu de résidence d’un handicapé qui ne doit plus vivre en institution, mais au sein de la société, doive encore constituer une institution? Selon le Tribunal, la décision de l’État et du personnel d’une institution hospitalière de retourner une personne à la vie dans la société, implique que cette personne ne doit plus être considérée comme vivant en institution. Le retour à la vie dans la société doit avoir un sens. »
Le juge Cloutier appuie largement son analyse sur la philosophie et les orientations sociales de l’État québécois en matière de désinstitutionnalisation et de réinsertion sociale des handicapés intellectuels5. Il est aussi d’avis que la prétention de la ville quant au caractère public et institutionnel de l’immeuble constitue de la discrimination basée sur le handicap et sur les moyens pour pallier au handicap. Elle porte atteinte à la dignité de ces personnes alors que les orientations de l’État voulaient restaurer pleinement cette dignité.
Le juge Lévesque de la Cour supérieure a renversé cette décision. Il estime que le juge Cloutier a commis une erreur de droit en n’interprétant pas correctement la notion de « centre d’accueil ». Il s’appuie largement sur une décision rendue par la Cour suprême du Canada6 3 R.C.S. 3.]. Il affirme notamment que :
« [56] Appliquée au contexte qui nous occupe, il en résulte que l’immeuble du 3159 de la rue Rancourt, à Beauport, constitue un « établissement où l’on offre des services internes « [,,,], pour le cas échéant, loger, entretenir, garder sous observation, traiter ou permettre la réintégration sociale des personnes dont l’état, en raison […] de leurs déficiences […] caractérielles, psychosociales […] est tel que ces personnes doivent être […] gardées en résidence protégée […] »
Le juge Lévesque précise que les RAC ne bénéficient pas d’une protection législative contre les poursuites en cas d’usage non conforme à la réglementation comme c’est le cas pour les ressources intermédiaires, à l’article 308 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., c. S-4.2 (la L.S.S.S.S.). Le juge conclut enfin que le règlement n’est pas discriminatoire parce qu’il ne vise pas à exercer un contrôle sur un groupe d’usagers en particulier, soit les personnes handicapées intellectuellement, en raison de la portée très large de la notion de « centre d’accueil ».
La Cour d’appel infirme le jugement de la Cour supérieure et rétablit le jugement de la Cour municipale. Elle interprète le règlement de zonage de façon libérale pour favoriser l’intérêt collectif. Elle souligne notamment que :
« [73] (…) C’est dans le contexte d’une volonté collective d’intégration sociale que le mode de vie de ces personnes a connu un changement radical pour leur permettre de vivre en milieu résidentiel, avec l’assistance appropriée à leur état.
[74] L’interprétation que je favorise s’harmonise avec les orientations législatives et sociales qui prévalent au Québec depuis la fin des années quatre-vingt. Elle respecte le sens commun en ce qu’elle reconnaît que l’usage fait par une personne atteinte d’une déficience qui habite un immeuble, avec l’assistance d’un CRDI, sera le même que celui reconnu à une autre personne qui ne présente pas une telle déficience ou à une autre personne qui, tout en ne présentant pas une telle déficience, a besoin d’assistance à domicile en raison de son âge ou d’un handicap physique, par exemple. »
Pour la Cour d’appel, « zoner, c’est contrôler l’usage ». Le zonage vise à contrôler les effets indésirables d’un usage sur les voisins et, plus globalement, sur la collectivité. La Cour estime que la conclusion du bail entre le CRDI et les Immeubles Paroli et les aménagements de la résidence ne changent absolument pas l’usage de la résidence et n’a aucun impact sur la collectivité. Enfin, la Cour d’appel ne retient pas l’argument de la ville sur l’application des articles 308 et 314 de la L.S.S.S.S. en soulignant que :
« [79] Il s’agit de dispositions qui ont pour but d’éviter le genre de situation qui se présente dans le présent dossier où, face à un cas d’usage résidentiel, l’on tente, en se raccrochant à des éléments qui n’ont pas d’impact sur le caractère réel de l’usage, de changer la nature véritable de l’usage. » Cette décision importante représente un gain de taille pour toutes les personnes qui reçoivent des services de santé et des services sociaux de la part du réseau dans des immeubles loués directement par les établissements. Elle leur permet de s’installer dans des milieux résidentiels. Elle préserve leur dignité et bannit l’exclusion sociale causée par une certaine interprétation de la réglementation municipale.