Au moment de l’émergence des vaccins contre la Covid-19, plusieurs employeurs se sont questionnés sur la possibilité d’imposer la vaccination obligatoire à leurs salariés. Certains employeurs, dont les entreprises sous juridiction fédérale dans le secteur des transports maritime, aérien et ferroviaire, ont été contraints d’imposer celle-ci à leurs salariés en vertu d’arrêtés ministériels.
En effet, à l’automne 2021, le ministre des Transports du Canada a adopté des arrêtés ministériels décrétant la vaccination obligatoire contre la Covid-19 à ces entreprises en les obligeant notamment à adopter des politiques de vaccination obligatoire applicables à l’ensemble de leur personnel. Les seules exceptions à cette vaccination obligatoire étaient la contre‑indication médicale et la croyance religieuse sincère.
Le refus de se conformer à ces politiques a mené à l’imposition de suspensions sans solde et à des congédiements. Certains salariés ont plutôt choisi de se faire vacciner, contre leur gré, par peur de perdre leur emploi et leurs revenus. Évidemment, de nombreux griefs ont été déposés pour contester ces différentes mesures.
La contestation constitutionnelle
Dans ces circonstances, seize (16) demandeurs, soit dix (10) sections locales du Syndicat des métallos affilié à la FTQ[1] et six (6) individus, se sont adressés à la Cour supérieure[2] pour attaquer la constitutionnalité des dispositions en cause des arrêtés ministériels au motif qu’elles violeraient l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[3] (ci-après la « Charte »), qui dispose que chacun a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne[4].
Les demandeurs prétendaient qu’il aurait fallu une exception additionnelle à la vaccination obligatoire fondée sur ce qu’ils appellent la « liberté de choix », notion qu’ils définissent comme étant le « droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, qui comprend le droit de prendre des décisions d’une importance fondamentale pour sa personne, sans intervention de l’État ».[5]
La décision
Pour obtenir gain de cause, les demandeurs avaient le fardeau d’établir deux (2) éléments.[6]
Dans un premier temps, ils devaient établir que, dans la situation dont ils se plaignent, il a été porté atteinte à un ou à plusieurs des droits garantis par l’article 7 de la Charte.
En deuxième lieu, ils devaient établir que cette atteinte à l’un ou l’autre de ces droits garantis est survenue d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale.
(i) L’atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de la personne au sens de l’article 7 de la Charte
Une analyse détaillée des principes juridiques applicables a mené le juge Mark Phillips de la Cour supérieure à la conclusion que les dispositions attaquées des arrêtés ministériels portent atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de la personne au sens de l’article 7 de la Charte.
Selon le juge, ce qui pose essentiellement problème dans les circonstances, c’est l’effet conjugué de l’obligation (non absolue) de se faire vacciner et de la conséquence importante qui y est reliée pour l’individu en cas de refus, soit la perte de son travail.[7] Il pèse donc, sur la décision de consentir ou non au traitement médical, une coercition certaine.[8]
Pour la Cour, il s’agit donc d’une atteinte à la liberté de l’individu.
De plus, étant donné le lien de causalité suffisant entre l’obligation vaccinale découlant des politiques des employeurs et les arrêtés ministériels, la Cour est d’avis qu’il y a aussi une atteinte à la sécurité de la personne sous forme d’atteinte à l’intégrité psychologique.[9]
Par conséquent, les dispositions attaquées des arrêtés ministériels portent atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne dans sa dimension psychologique.[10]
(ii) L’absence de violation d’un ou de plusieurs principes de justice fondamentale
Une fois l’atteinte au droit à la liberté et à la sécurité constatée, il faut qu’il soit démontré, comme le souligne la Cour, que cette atteinte n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, c’est-à-dire que l’obligation vaccinale est arbitraire, de portée excessive ou totalement disproportionnée.[11]
Selon la Cour, l’obligation vaccinale n’est pas arbitraire car elle a un lien rationnel avec son objectif, soit de limiter le développement des formes plus graves de la Covid-19 et ainsi réduire le taux d’absentéisme et la mise en péril du bon fonctionnement du système des transports.[12]
La portée de l’obligation vaccinale n’est pas excessive, dans la mesure où elle est jugée nécessaire en milieu de travail.[13]
Enfin, la Cour ne retient pas les arguments des demandeurs soutenant que l’obligation vaccinale est totalement disproportionnée. La preuve présentée ne lui permet pas de conclure que l’obligation vaccinale présente un caractère permanent pour corriger un mal temporaire ou qu’elle a pour effet de créer deux catégories de travailleurs, soit ceux sous juridiction fédérale et ceux sous juridiction provinciale.[14]
L’obligation vaccinale respecte donc les principes de justice fondamentale.
En conséquence, bien que les dispositions contestées des arrêtés ministériels portent atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne des individus concernés, elles ne violent pas l’article 7 de la Charte.
(iii) La justification au sens de l’article 1er de la Charte
Malgré ce constat, la Cour poursuit son analyse. En supposant qu’elle aurait plutôt conclu que l’obligation vaccinale violait l’article 7 de la Charte, cette violation aurait-elle été justifiée par l’article 1er de la Charte comme étant une limite raisonnable à ce droit dans le cadre d’une société libre et démocratique?
Selon le juge, l’objectif de l’obligation vaccinale, soit d’assurer la sécurité des transports, est urgent et réel. Il existe également un lien rationnel entre cet objectif et la mesure puisqu’il a été démontré que la vaccination est efficace.[15]
L’obligation vaccinale respecte la proportionnalité, en ce sens qu’elle constitue la mesure la moins attentatoire qui permet d’atteindre l’objectif.[16]
Finalement, en ce qui concerne les effets bénéfiques de l’obligation vaccinale, il a été démontré que la vaccination obligatoire dans le secteur des transports s’est montrée non seulement efficace, mais qu’elle a permis d’éviter des problèmes très graves.[17]
Par conséquent, même si elles avaient violé l’article 7 de la Charte, les dispositions contestées des arrêtés ministériels auraient été jugées constitutionnelles.
Conclusions
Tel que mentionné en introduction, le refus de se conformer à l’obligation vaccinale découlant des politiques a mené à l’imposition de suspensions sans solde et à des congédiements, pour lesquels des griefs ont été déposés.
Considérant le jugement de la Cour supérieure, il sera intéressant de suivre le positionnement des tribunaux d’arbitrage sur le fond de ces griefs, soit sur l’évaluation de la sanction suite au refus des salariés de se conformer aux politiques de vaccination obligatoire.
[1] Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec.
[2] Syndicat des métallos, section locale 2008 c. Procureur général du Canada, 2022 QCCS 2455 (décision rendue le 5 juillet 2022).
[3] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
[4] L’article 7 protège aussi le droit à la vie, mais il n’est pas invoqué. Cet article énonce : « 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. ».
[5] Syndicat des métallos, section locale 2008 c. Procureur général du Canada, préc., note 2, par. 48.
[6] Id., par. 91 à 94.
[7] Id., par. 176.
[8] Id.
[9] Id., par. 177.
[10] Id., par. 179.
[11] Id., par. 180 et 181.
[12] Id., par. 195 à 198.
[13] Id., par. 202.
[14] Id., par. 208 à 210.
[15] Id., par. 227 et 230.
[16] Id., par. 246.
[17] Id., par. 247.