Bien que la jurisprudence soit partagée sur cette question depuis l’arrêt Cabiakman[1] rendu par la Cour suprême du Canada en 2004, plusieurs arbitres de grief sont d’avis qu’un employeur n’a pas l’obligation de rémunérer un salarié lors d’une suspension pour fins d’enquête (sous réserve d’une disposition à l’effet contraire dans une convention collective). Toutefois, l’employeur doit agir de bonne foi, il doit avoir des motifs sérieux lui permettant d’ordonner la suspension pour fins d’enquête, ces motifs doivent être liés à l’emploi du salarié, il doit avoir donné l’occasion au salarié de s’expliquer et la durée de l’enquête doit être raisonnable compte tenu de la complexité de l’affaire.
Rappelons que dans l’affaire Cabiakman, l’employeur avait suspendu sans solde, pendant deux ans, un cadre (régi par un contrat individuel de travail) qui faisait l’objet d’accusations criminelles, en attendant le dénouement des procédures judiciaires. L’employeur invoquait qu’il devait protéger l’image et la réputation de son entreprise. À la suite de l’acquittement du cadre, l’employeur avait refusé de lui verser son salaire pour les deux années qu’avaient duré les procédures criminelles. Dans ce contexte, la Cour suprême a conclu qu’une telle suspension « est en principe imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels qui ne se posent pas en l’espèce »[2].
L’affaire Cabiakman ne concerne donc pas une suspension pour fins d’enquête. En outre, ce sont les règles du contrat individuel de travail qui s’appliquaient dans cette affaire. À cet égard, la Cour suprême précise que l’on doit éviter d’extrapoler à partir de sa décision :
«26 Ce pourvoi pose diverses questions, toutes liées à l’exécution et à la suspension d’un contrat individuel de travail.
27 Nous prenons soin de préciser que le cadre du litige n’est pas régi par une convention collective.
(…)
33 (…) Par souci de clarté, nous réitérons alors que le présent pourvoi ne soulève que la question du pouvoir unilatéral d’imposer une suspension à un salarié visé par des accusations criminelles, pour des motifs purement administratifs rattachés à l’intérêt de l’entreprise. »
(Nous soulignons)
Néanmoins, affirmant appliquer les principes de l’arrêt Cabiakman, certains arbitres de griefs sont d’avis qu’une suspension pour fins d’enquête doit être imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels.
Cela étant, si vous décidez de suspendre un salarié, sans solde, pour fins d’enquête:
- Soit, vous imposez une mesure disciplinaire au terme de votre enquête, auquel cas vous pourrez alors faire rétroagir cette mesure à la date du début de la suspension. Dans ce contexte, le sort d’un grief contestant la suspension pour fins d’enquête suivra normalement celui qui est attribué au grief contestant la mesure disciplinaire[3]. De plus, ceci signifie concrètement que vous ne payez pas un salarié à ne rien faire (durant l’enquête).
- Soit, vous décidez qu’il n’y a pas matière à sanction, auquel cas vous rembourserez le salaire perdu par le salarié pendant la durée de l’enquête.
Cependant, si vous décidez de suspendre, avec solde, pour fins d’enquête :
- Soit, vous imposez une mesure disciplinaire au terme de votre enquête, auquel cas le salarié aura été rémunéré pendant la durée de celle-ci. Par la suite, le salarié devra purger sa sanction, ce qui va nécessairement prolonger son absence du travail au-delà de la durée de l’enquête;
- Soit, vous décidez qu’il n’y a pas matière à sanction, auquel cas vous n’aurez aucune somme à rembourser.
Bien entendu, la décision de suspendre un salarié, avec ou sans solde, pour fins d’enquête peut être influencée par diverses considérations propres à chaque établissement ou entreprise. Il est toutefois inexact de croire qu’un employeur doit nécessairement rémunérer un salarié lors d’une suspension pour fins d’enquête. Dans tous les cas, nous rappelons l’importance de procéder à l’enquête avec diligence.
[1] Cabiakman c.Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, [2004] 3 R.C.S. 195 .
[2] Ibid., par. 62
[3] Soulignons que si vous ne faites pas rétroagir la mesure à la date de la suspension, il est possible qu’un arbitre vous ordonne de rembourser le salaire perdu par le salarié durant l’enquête, et ce, même si la mesure disciplinaire est maintenue.