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Bien que le droit criminel et le droit de la santé soient deux types de droit distincts relevant de deux paliers de gouvernement différents, ils peuvent à l’occasion être interreliés. La détention dans un établissement désigné 1 d’un accusé jugé non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux (« patient NRC »), en est une parfaite illustration. Les établissements désignés sont alors responsables d’appliquer des modalités d’encadrement du patient NRC. Dans cette optique, les établissements ont-ils un droit reconnu de se faire entendre avant l’émission d’une ordonnance par la Commission d’examen?

C’est le Tribunal administratif du Québec, désigné comme étant une Commission d’examen au sens duCode criminel2 (la « Commission ») qui a compétence pour établir les modalités d’encadrement devant s’appliquer au patient NRC. En vertu de l’article 672.54 du Code criminel, la Commission peut rendre trois types de décisions, soit la libération inconditionnelle, la libération conditionnelle ou la détention dans un établissement de santé selon les modalités qu’elle choisit. Elle doit rendre des ordonnances dans un souci de protection du public, contrebalancé par un objectif de traitement équitable de l’accusé, dont le droit à la liberté est garanti par la Charte canadienne3.

LA COMMISSION ET LE POUVOIR DE LIER LES ÉTABLISSEMENTS DÉSIGNÉS

En 2006, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt4 important concernant la dualité entre les pouvoirs alloués à la Commission et l’autonomie reconnue aux établissements et à leurs équipes médicales à l’égard de leurs usagers ou patients. Ce jugement vient explicitement confirmer le pouvoir octroyé à la Commission de fixer des modalités de détention qui lient les parties autres que l’accusé, notamment les autorités de l’établissement désigné et les professionnels de la santé. Bien que ces modalités contraignantes puissent concerner la supervision d’un traitement médical, la Commission n’a, en aucun temps, le pouvoir de prescrire un traitement. En effet, ce pouvoir de dispenser des soins et des traitements aux personnes atteintes de troubles mentaux demeure de compétence provinciale et relève de l’établissement et de ses professionnels.

Dans le cadre de son mandat, la Commission doit offrir au patient NRC la possibilité de recevoir un traitement, mais ne peut l’imposer. Ainsi, il lui est loisible d’émettre sa propre opinion sur le traitement de l’accusé, sur ses chances de réadaptation et de réinsertion et conséquemment, elle a le pouvoir d’ordonner que l’on procède à une réévaluation des méthodes de traitement. Elle peut, en outre, prévoir une condition relative à un traitement. À titre d’exemple, elle pourrait envisager d’assouplir les mesures de privation de liberté de l’accusé à la condition que ce dernier s’engage à poursuivre un traitement particulier déjà recommandé par l’équipe médicale de l’établissement où il est détenu. De l’avis de la Cour suprême, cela est conforme aux dispositions du Code criminel et ne vient pas interférer avec les compétences exclusivement réservées aux provinces.

LES MODALITÉS DU TRANSFERT DU PATIENT
Il appert de la jurisprudence que des transferts de patients NRC soient fréquemment ordonnés, notamment lorsque leur condition ne nécessite plus un encadrement aussi restrictif que celui imposé à l’établissement d’origine.

Selon la Cour d’appel5 , la Commission n’a pas à obtenir le consentement des établissements visés avant d’ordonner un transfert. Celle-ci spécifie que conclure autrement équivaudrait à leur déléguer le soin de décider des modalités de la détention, ce qui relève de la compétence exclusive de la Commission.

Afin de prévoir le transfert et les raisons justifiant celui-ci, la Commission peut demander tout complément de preuve et même exiger la présence à l’audience d’un représentant des établissements visés. Il arrive toutefois que la Commission ne requière pas la présence d’un représentant de l’hôpital où sera transféré le patient. Peut-elle agir ainsi?

L’Hôtel-Dieu de Lévis a prétendu que non, et en a appelé d’une décision de la Commission qui avait ordonné le transfert d’un patient NRC de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal à son établissement. L’Hôtel-Dieu a allégué qu’il n’avait pas été convoqué à l’audience et qu’il n’a pas pu faire valoir son point de vue. La Cour d’appel, dans un arrêt du 8 juillet 20116 , a rejeté la demande, en concluant que l’établissement n’avait pas l’intérêt juridique nécessaire pour se pourvoir en appel, n’étant pas « partie aux procédures » au sens du Code criminel.

Parallèlement à cet arrêt, d’autres jugements ont été rendus à ce sujet au courant de l’été 2011.

Notamment, l’Institut Philippe-Pinel de Montréal a demandé, par une requête en jugement déclaratoire, que la Cour supérieure se prononce sur le droit d’un établissement destinataire d’être entendu avant le transfert.

La Cour supérieure a déterminé que l’établissement destinataire ne devient « partie aux procédures » qu’au moment du prononcé de l’ordonnance de transfert 7 . Il s’ensuit donc qu’il ne peut s’imposer à la Commission lors de l’audition pendant laquelle le transfert est considéré. Toutefois, la Cour précise que l’établissement destinataire a droit à la révision de la décision de la Commission, puisqu’en vertu de l’article 672.81(2) du Code criminel, celle-ci doit obligatoirement, sur demande, tenir une audience pour réviser sa décision. Ce sera donc dans ce cadre que l’établissement destinataire pourra faire valoir sa position sur l’encadrement du patient, le suivi psychiatrique ou le plan de traitement élaboré par les médecins. Une délégation de pouvoirs au responsable de l’établissement est, par ailleurs, prévue au Code criminel, notamment le pouvoir de resserrer les mesures de privation de liberté ou de les assouplir.

CONCLUSION

L’analyse de la jurisprudence récente de la Commission et des tribunaux supérieurs permet de constater que l’établissement qui se voit contraint d’admettre un accusé jugé non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux n’a pas le droit de faire valoir son point de vue lors de l’audition qui le concerne. Il peut toutefois demander la révision de cette ordonnance. Les motifs au soutien de cette demande de révision peuvent porter autant sur les ressources disponibles, l’encadrement du patient que sur le suivi psychiatrique.

Enfin, soulignons que dans un rapport publié en 2011 par la Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, les membres du Comité de travail interministériel sur la prestation des services de psychiatrie légale relevant du Code criminel ont recommandé de réviser la désignation ministérielle des établissements pour réduire leur nombre et ainsi tenir compte de leur capacité réelle d’exécuter les ordonnances de la Commission.