Après plusieurs années de débats, de décisions contradictoires et de positions divergentes, la question semble désormais réglée : les tribunaux spécialisés, comme les tribunaux d’arbitrage ou la Commission des relations du travail (CRT), ne sont pas liés par une décision de la Commission des lésions professionnelles (CLP), statuant sur l’existence ou non d’une lésion psychologique, découlant de harcèlement psychologique au travail.
En effet, le 31 août dernier, la Cour d’appel s’est prononcée à cet égard en rendant un jugement fort attendu dans le milieu des relations du travail : l’arrêt Durocher c. Commission des relations du travail,(2015 QCCA 1384).
Que l’on parle de l’autorité de la chose jugée, de chose jugée implicite, de préclusion, ou même d’estoppel, il est maintenant clairement déterminé qu’une décision de la CLP ne pourra être qu’un élément dont l’arbitre de grief devra tenir compte dans son appréciation de la situation, sans l’empêcher de conduire sa propre analyse sur l’existence ou non de harcèlement psychologique.
La Cour d’appel explique la compétence unique de chacun de ces tribunaux relativement aux questions qui leur sont soumises. En effet, le rôle principal de la CLP, lorsqu’elle est appelée à examiner un litige portant incidemment sur la présence de harcèlement psychologique, est d’abord et avant tout de déterminer s’il y a existence d’une lésion psychologique, découlant d’un événement imprévu et soudain, survenu par le fait ou à l’occasion du travail. C’est dans l’analyse de l’existence de cet « événement imprévu et soudain » que la CLP déterminera si le travailleur a été victime d’une conduite, dépassant le cadre habituel du travail pouvant correspondre à du harcèlement psychologique. En fait, la CLP n’a pas à se prononcer quant à l’existence ou non du harcèlement psychologique afin de rendre sa décision. Elle pourrait simplement indiquer que la situation factuelle déborde de ce qui est « normal » de vivre dans un milieu de travail.
Quant aux autres tribunaux spécialisés, que l’on parle de la CRT ou d’un tribunal d’arbitrage, ils doivent directement « décider si un salarié a été victime de harcèlement psychologique au travail, c’est-à-dire soumis à des comportements vexatoires et décider si l’employeur a fait défaut de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement et le faire cesser lorsque la conduite est portée à sa connaissance. » (par. 92).
Ainsi, une décision de la CLP pourra répondre partiellement à une question relative à la présence de harcèlement psychologique au travail, soulevée ultérieurement en arbitrage de grief, mais non entièrement. L’arbitre de grief pourra, et même devrait, tenir compte d’une décision de la CLP portant sur les mêmes faits dans le cadre de son analyse, sans toutefois y être juridiquement lié ou forclos de rendre une décision pouvant conclure autrement quant à l’existence du harcèlement psychologique et aux actions prises par l’employeur.
Par exemple, si la CLP détermine qu’un travailleur a été victime d’une lésion psychologique découlant de harcèlement, l’arbitre de grief pourrait conclure de son côté, face à l’analyse de la preuve qui lui a été soumise et malgré cette décision de la CLP, que le travailleur n’a pas été victime d’une conduite vexatoire portant atteinte à son intégrité (harcèlement psychologique), ou que l’employeur a pris les moyens raisonnables pour prévenir ce harcèlement et rejeter son grief.
Bien que pouvant éventuellement compliquer la tâche des parties lors d’arbitrages de grief portant sur la présence de harcèlement psychologique, cet arrêt vient confirmer la position que plusieurs tribunaux avaient déjà adoptée.
Il sera particulièrement intéressant de voir comment les arbitres de grief et juges administratifs considéreront une décision de la CLP portant sur l’existence d’une lésion psychologique dans le cadre de leur propre analyse concernant la présence de harcèlement psychologique et quelle importance ils y accorderont.
Nous trouverons-nous face à une analyse fortement inspirée sur celle de la CLP ou une telle décision sera plutôt considérée comme une donnée à considérer parmi d’autres ?
Chose certaine, employeurs, syndicats ou salariés ne se priveront assurément pas d’un tel élément et tenteront de convaincre l’arbitre ou la CRT d’utiliser la décision rendue dans un sens qui leur est favorable.
Pour l’instant, aucune demande d’autorisation d’appel n’a été logée auprès de la Cour suprême. Restons tout de même à l’affût jusqu’au 30 octobre prochain, date butoir pour ce faire.