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La grande majorité des conventions collectives au Québec contiennent une clause d’amnistie à l’effet qu’en l’absence de récidive au cours d’une période déterminée, le dossier disciplinaire d’un salarié ne peut être considéré par l’employeur lors de l’imposition d’une mesure disciplinaire.

Malgré l’impact des clauses d’amnistie sur le processus disciplinaire et sur l’évaluation de la raisonnabilité des mesures imposées au salarié, des discussions sur la modification de ces clauses sont souvent mises de côté lors des négociations des conventions collectives, de par les préoccupations immédiates des parties envers d’autres clauses.

Lorsqu’il constate l’impact concret d’une clause d’amnistie sur le dossier disciplinaire d’un salarié en particulier, un employeur peut être tenté de plaider qu’elle ne peut trouver application, selon certaines circonstances.

À cet égard, au cours des dernières années et récemment encore, certains employeurs ont prétendu que l’application des clauses d’amnistie devait être écartée lorsque les droits de tiers étaient en jeu. Comme nous le verrons, les tribunaux ont rejeté à chaque fois les prétentions avancées par les employeurs, ce qui invite, à plus forte raison, à revoir leurs textes de conventions collectives s’ils souhaitent éventuellement pouvoir soulever cet argument.

Dans ces circonstances particulières, les décideurs ont ainsi préféré donner plein effet aux clauses d’amnistie ainsi qu’à la protection qu’elles confèrent aux salariés. Protection qui, comme nous le verrons également, ne vaut toutefois qu’au regard de l’administration du processus disciplinaire à l’endroit des salariés et qui ne saurait empêcher un employeur d’utiliser les mesures disciplinaires passées à d’autres fins, notamment quant à la crédibilité de la personne salariée sanctionnée.

L’affaire Centre jeunesse de l’Outaouais1

En 2015, un arbitre avait laissé entrevoir une possibilité de ne pas appliquer une clause d’amnistie dans l’affaire Centre jeunesse de l’Outaouais alors que l’employeur avait procédé au congédiement d’un éducateur ayant humilié et porté une atteinte illicite à l’intégrité ainsi qu’à la dignité d’un jeune.

Le procureur de l’employeur souhaitait rendre inapplicable la clause d’amnistie afin de mettre en preuve la suspension de six mois imposée au salarié par une sentence arbitrale. Il prétendait que (1) la clause d’amnistie ne pouvait être invoquée à l’encontre d’une sentence arbitrale et (2) qu’elle ne pouvait empêcher le Centre jeunesse de l’Outaouais d’évaluer globalement si le comportement de ses salariés pouvait avoir un effet néfaste sur l’intégrité ou la sécurité des enfants sous sa responsabilité.

Bien que l’arbitre retienne le premier argument de l’employeur, il indique également, au regard du second argument, qu’une clause d’amnistie prévue à une convention collective ne pourrait avoir pour effet d’affaiblir la protection offerte aux jeunes par les lois d’ordre public et interdire à l’institution qui en a la responsabilité de considérer un manquement antérieur, relativement récent, d’un intervenant qui portait atteinte directement à la sécurité et à l’intégrité des jeunes.

L’affaire CSSS du Cœur-de-l’Île2

Subséquemment, dans l’affaire CSSS du Cœur-de-l’Île, l’employeur suggérait que les motifs de la décision précédente évoquaient un principe général selon lequel des mesures disciplinaires devenues caduques pourraient être mises en preuve lorsqu’une loi d’ordre public est en cause et qu’elle vise, par exemple, la protection du public.

L’arbitre a rejeté ces prétentions en étant plutôt d’avis que les motifs soulevés ne pouvaient autoriser, de façon universelle, la preuve d’éléments visés par une clause d’amnistie dès qu’une loi d’ordre public régissait le travail des salariés.

Dans cette affaire, il est intéressant de noter que l’arbitre permet tout de même à l’employeur, tout comme d’autres décideurs l’on fait3, de référer aux mesures disciplinaires visées par la clause d’amnistie dans la mesure où il le fait pour attaquer la crédibilité du salarié.

À titre d’exemple, la crédibilité d’un salarié peut être remise en question si celui-ci nie l’existence d’une situation qui est pourtant avérée par des interventions disciplinaires antérieures. C’est le cas, notamment, du salarié qui indiquerait ne jamais avoir été mis au courant de l’interdiction de poser un geste donné alors qu’il a déjà reçu une mesure disciplinaire à ce sujet (même si cette mesure est caduque en vertu d’une clause d’amnistie).

L’affaire CISSS de l’Outaouais4

Dans l’affaire CISSS de l’Outaouais, un arbitre avait à déterminer si l’employeur pouvait mettre en preuve les mesures disciplinaires du salarié, un infirmier auxiliaire ayant fait preuve soit d’incompétence et/ou de négligence à répétition dans l’exécution de ses tâches, normalement couvertes par la clause d’amnistie.

Pour ce faire, l’employeur invoquait que la clause d’amnistie ne pouvait trouver application lorsque les droits des tiers, soient des résidents, étaient affectés et sérieusement mis en péril.

Dans sa décision, l’arbitre concède d’abord que l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne5 protégeant les personnes handicapées contre toute forme d’exploitation de même que la protection offerte aux personnes vulnérables en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux6 (LSSSS) peuvent être qualifiés de dispositions quasi-constitutionnelles. Ainsi, tant l’employeur que les salariés sont assujettis aux buts et aux objectifs prévus dans ces lois et doivent faire les efforts nécessaires pour les atteindre.

Cependant, le tribunal mentionne qu’il ne peut parvenir à la conclusion que la protection accordée par ces lois aurait comme conséquence d’invalider une clause d’amnistie dans une convention collective conclue dans le secteur de la santé et des services sociaux.

Partageant entièrement le raisonnement de la Cour supérieure dans une décision7 impliquant les mêmes parties et soulevant essentiellement les mêmes arguments, le tribunal d’arbitrage souligne que pour adopter l’interprétation de l’employeur, il faudrait conclure qu’il existe nécessairement une relation directe entre l’application de la clause d’amnistie et la violation du droit à la protection de la sécurité. Or, une telle adéquation n’existe pas en l’espèce.

En terminant ses motifs, l’arbitre rappelle qu’il revient toujours à l’employeur de décider de la mesure disciplinaire appropriée en tenant compte de toutes les circonstances, y compris ses obligations d’ordre public prévues aux lois dont il doit veiller à l’application et que les salariés doivent respecter.

Conclusions

En résumé, même si les lois d’ordre public ne peuvent rendre inopérante une clause d’amnistie, il demeure qu’elles doivent être prises en compte par l’employeur au moment de considérer le contexte et la nature du travail effectué par le salarié pour déterminer la mesure disciplinaire à lui imposer.

La jurisprudence récente est aussi claire à l’effet que la protection accordée aux tiers par les lois d’ordre public ne peut, pour cet unique motif, avoir pour conséquence de rendre inapplicable une clause d’amnistie dans une convention collective.

Une telle situation pourrait cependant être contrecarrée en intégrant directement à une telle clause d’amnistie, lors du renouvellement d’une convention collective, cette exception à son application. Les employeurs ainsi appelés à négocier leurs conventions collectives ou le renouvellement de celles-ci ne devraient pas sous-estimer l’impact d’une telle exception sur la mise en œuvre de leur convention collective.

Quant aux plaideurs, ils doivent garder en tête l’exception qui permet de mettre en preuve des mesures disciplinaires visées par une clause d’amnistie afin d’attaquer la crédibilité de la personne plaignante en cours d’audience ou démontrer sa connaissance des règles applicables.