Quel degré de précision devrait-on retrouver dans le cadre des ordonnances d’hébergement?
Le Code civil du Québec prévoit que les établissements de santé et de services sociaux doivent obtenir l’autorisation de la Cour supérieure pour dispenser les soins requis par l’état de santé d’un majeur lorsque ce dernier refuse catégoriquement de recevoir ces soins[1]. La notion de soins étant large, elle comprend notamment toute intervention médicale, toute prise de médication, ainsi que tout hébergement nécessaire en raison de l’état de santé de la personne inapte. Ainsi, un établissement qui désire dispenser un soin d’hébergement à un majeur inapte qui refuse catégoriquement ce soin doit soumettre à la Cour Supérieure une demande d’ordonnance d’hébergement.
Selon les exigences établies par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ) c. J.B.[2] (ci-après « J.B. »), pour être accordée par la Cour, la demande d’ordonnance d’hébergement doit, notamment, être aussi précise et détaillée que possible:
«[31] L’ordonnance d’hébergement prononcée en vertu de l’art. 16 C.c.Q. est une mesure privative de liberté et, parce qu’elle l’est, ses paramètres doivent être clairs et connus d’avance, de manière à ce que la personne visée ne soit pas, en définitive, soumise à la discrétion de l’établissement qui l’a demandée ou des médecins de celui–ci. Ajoutons à cela que le fait de décrire précisément (ou en tout cas avec un certain degré de précision) la nature de l’hébergement offert permet aussi d’apprécier mieux le refus de la personne visée. Comment dire : on veut héberger ici l’intimée dans une ressource non identifiée, qu’on est incapable de lui décrire (sinon pour affirmer que sa qualité de vie y sera meilleure) et dont on ne peut donc discuter avec elle sinon de manière fort générale. Comment lui reprocher de répondre par la négative? Cela aussi, d’ailleurs, pourrait en soi constituer un obstacle à une ordonnance d’hébergement en vertu de l’art. 16 C.c.Q. : cette disposition n’est applicable en effet qu’en cas de refus catégorique de la personne majeure inapte; or, écrit la Cour dans F.D. si « le traitement [en l’occurrence, l’hébergement] visé par l’ordonnance recherchée n’a pas encore été offert, envisagé et discuté, il ne peut être question de refus catégorique évidemment ».
(Nos soulignements)
La formulation d’une demande d’ordonnance d’hébergement ne peut donc avoir l’allure d’« une carte blanche » qui laisserait une discrétion totale à l’établissement de santé. La Cour d’appel, dans l’arrêt M.G. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal[3], énonce ce qui suit :
« [6] […] Bien qu’une ordonnance puisse offrir une certaine latitude à l’équipe traitante, elle ne peut pas lui donner une discrétion totale pour déterminer quel type de traitement ou d’hébergement est approprié. […]».
Suivant ces enseignements de la Cour d’appel, la jurisprudence récente confirme qu’il est nécessaire de décrire avec suffisamment de précision la ressource d’hébergement qui sera le milieu de vie de l’usager, sans quoi la demande risque d’être rejetée[4].
Or, il peut arriver qu’au moment de la présentation de la demande, l’établissement ne connaisse pas encore avec précision le nom de la ressource d’hébergement pouvant accueillir l’usager. En effet, l’identification d’une ressource disponible et appropriée aux besoins du patient doit procéder par le « Mécanisme d’accès à l’hébergement », une procédure administrative qui n’est pas toujours complétée au moment où la demande d’ordonnance d’hébergement est soumise au Tribunal.
La décision récente de la Cour supérieure dans l’affaire CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. B.B.[5] reprend d’ailleurs les diverses étapes du processus d’accès à l’hébergement, qui se déroule en trois séquences : l’accès, le jumelage et l’intégration. Le mécanisme d’accès doit tenir compte de plusieurs facteurs, notamment les besoins de l’usager, la disponibilité d’une place dans la ressource d’hébergement, le placement de l’usager sur une liste d’attente, l’emplacement géographique de la ressource par rapport à sa situation, la priorisation de certaines demandes, etc. Le processus complet peut ainsi prendre un certain temps. Dans ces circonstances, nous comprenons qu’un établissement puisse être tenté de formuler sa demande d’ordonnance d’hébergement sans préciser spécifiquement une ressource, et ce, dans le but de ne pas obtenir une ordonnance trop restrictive qui entrerait en contradiction avec les résultats du mécanisme d’accès à l’hébergement.
Dans l’arrêt J.B.[6], la Cour d’appel soulignait effectivement que « […] [l]a Cour n’est évidemment pas insensible aux difficultés auxquelles peut se heurter le système de santé devant la perspective de procéder à l’hébergement forcé d’un individu», mais «il reste que l’on ne saurait faire primer les pratiques administratives des établissements sur les principes d’autonomie et de liberté que garantissent la Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec, principes qui s’appliquent même aux personnes inaptes.».
Reprenant ce principe, la Cour supérieure[7] a précisé que le fait qu’un établissement doive référer le dossier d’un usager au mécanisme d’accès à l’hébergement ne lui permet pas d’écarter ses droits fondamentaux, et ce, d’autant plus lorsqu’aucune explication n’est offerte afin de justifier la nécessité d’obtenir une ordonnance du Tribunal avant d’entamer le processus d’identification d’une ressource.
Ainsi, le respect des exigences de la Cour d’appel quant à l’identification de la ressource d’hébergement peut, dans certains cas, sembler difficilement conciliable avec les réalités administratives avec lesquelles doivent jongler les établissements. Toutefois, une décision récente de la Cour supérieure rappelle certaines nuances quant au degré de précision requis. Dans l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval c. E.B.[8], la Cour indique que le respect des critères ne va pas jusqu’à exiger qu’une ressource précise soit identifiée : c’est plutôt la nature et le type de ressource qui doivent être précisés dans la demande et qui doivent avoir fait l’objet de discussions avec l’usager.
Dans cette affaire, l’établissement a demandé une ordonnance en fonction de la description qui suit : « une ressource de type intermédiaire spécialisée pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble de l’autisme, notamment la ressource A ». Cette formulation ne limite pas l’ordonnance demandée à une seule ressource spécifique et la Cour a conclu à la légalité de la demande d’ordonnance d’hébergement ainsi formulée, l’hébergement ayant été décrit avec assez de précision :
«[52] En contraste, ici, le type et la nature de l’hébergement visé ainsi que sa spécialisation sont bien précisés, à savoir «une ressource de type intermédiaire spécialisée pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble de l’autisme, notamment la ressource A». De plus, tant la psychiatre que la travailleuse sociale ont discuté à plusieurs reprises avec M.B… de la question de l’hébergement et ont expliqué la nature de l’hébergement visé, les services et l’encadrement qui y sont offerts, l’environnement physique éventuel auquel il peut s’attendre, dont le fait qu’il aurait sa propre chambre, et la latitude dont il disposerait quant au mode de vie qu’il pourrait y adopter, y compris quant à ses allées et venues, tout en respectant certaines règles afin d’assurer notamment sa sécurité, etc.»
(Nos soulignements et caractères gras)
Ainsi, il est possible de décrire la nature de l’hébergement « précisément (ou en tout cas avec un certain degré de précision) », pour reprendre les termes de l’arrêt J.B.[9], sans identifier de manière limitative une ressource. Il semble en revanche essentiel de préciser le type, la nature et la spécialisation, s’il y a lieu, de la ressource envisagée. Ceci est conforme aux enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt M.G. qui mentionnait la possibilité de laisser une certaine latitude à l’équipe traitante. Les intervenants et médecins de l’équipe traitante doivent, de plus, avoir discuté de ces éléments avec l’usager afin qu’il ait pu formuler sa position, de façon éclairée, face à ce soin. En effet, un usager inapte doit tout de même être informé afin qu’il puisse, dans la mesure du possible, participer aux décisions le concernant.
En conclusion, dans le cadre d’une demande d’ordonnance d’hébergement, nous recommandons aux établissements:
- De donner le plus de précisions possibles quant à la ressource qui est recherchée : le type, la nature, la spécialisation, le territoire géographique, etc.;
- D’indiquer au Tribunal pourquoi l’ordonnance est requise malgré l’absence d’identification précise de la ressource d’hébergement;
- D’indiquer au Tribunal la nature des échanges qui ont eu lieu avec l’usager, par l’entremise des intervenants de l’équipe traitante. Il nous apparaît important de discuter notamment des services, de l’encadrement, de l’environnement physique et du mode de vie auxquels pourra s’attendre l’usager au sein de cette ressource;
- Dans l’éventualité où une ou des ressources ont déjà été identifiées au moment de l’introduction de la demande, il est utile de les identifier de manière non limitative dans la formulation de cette dernière.
[1] Code civil du Québec, RLRQ, CCQ-1991, art. 16.
[2] 2017 QCCA 1638.
[3] 2021 QCCA 1326.
[4] Voir par exemple : CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. H.M., 2023 QCCS 492; Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval c. S.D., 2023 QCCS 1213; CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. B.B. 2022 QCCS 3917.
[5] 2023 QCCS 4437, par. 71 à 108.
[6] Préc. note 2, par. 38.
[7] Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval c. S.D., 2023 QCCS 1213, par. 53; reprenant un passage de CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. G.D, 2021 QCCS 1458, par 26.
[8] 2023 QCCS 4648.
[9] Préc. note 2., par. 31.