Vous recevez la visite d’un inspecteur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et celui-ci émet un avis de correction et des dérogations. Vous avez un délai pour soumettre vos solutions et correctifs, le tout est accepté, la dérogation est corrigée. Est-ce la fin ? Tout dépend de vos agissements par la suite.

C’est le sujet de la décision Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie, (2019) QCCQ 4355.

En octobre 2015, un inspecteur de la CNESST- division prévention inspection intervient dans une installation du CISSS où sont offerts des services de réadaptation pour les clientèles atteintes de déficience intellectuelle, trouble du spectre de l’autisme et déficience physique. Dans ce milieu, la désorganisation de la clientèle peut survenir fréquemment.

L’inspecteur exige formellement que l’employeur s’assure que tous les travailleurs reçoivent un rafraichissement de la formation ITCA (formation en intervention thérapeutique lors des conduites agressives). Il exige également que cette formation soit suivie par tous les employés. Il accorde un premier délai de deux mois pour s’y conformer.

L’établissement est dans l’impossibilité de respecter les délais et, par conséquent, offre une alternative temporaire, soit que deux employés par équipe de trois soient formés et ce, jusqu’à ce que tous les employés aient reçu la formation. L’inspecteur en comprend que l’objectif ultime est que tous les employés soient formés.

L’année suivante, à la suite de nouvelles agressions dans cette installation, la CNESST intervient de nouveau. Un constat d’infraction est émis et contesté par l’établissement.

Il appert que le travailleur agressé a suivi une formation de préposé aux bénéficiaires et fait son stage en milieu de soins palliatifs, notamment. Il entre en fonction dans l’installation en question avec un statut « sur appel » et obtient un remplacement considérant qu’un employé est en congé de maladie. Il n’a pas reçu de formation ITCA. Lors de sa première journée de travail, il se fait agresser par un patient à deux reprises.

Plusieurs témoins sont entendus dans le cadre de cette contestation. Le juge explique qu’il doit dans un premier temps décider si l’élément matériel de l’infraction est démontré, soit a) que l’employeur n’a pas informé adéquatement le travailleur des risques reliés à son travail et b) qu’il ne lui a pas donné la formation, l’entraînement et la supervision appropriés (article 51(9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST)).

Le juge indique qu’il n’a pas à évaluer, à ce stade, si l’accident se serait produit malgré une telle formation appropriée, mais bien si la formation a été donnée. Il n’a pas non plus à évaluer si un autre type de formation est équivalente (OMEGA) ou si la formation de la majorité des travailleurs est suffisante, car ce n’est pas le choix que l’établissement avait fait au moment de la dérogation de 2015.

Diligence raisonnable

Le juge examine ensuite la notion de diligence raisonnable (article 239 LSST). Il entend des membres de la direction de l’établissement qui présentent une preuve importante sur l’accueil et l’orientation des nouveaux employés, sur les politiques suivant une agression, l’évaluation régulière des résidents et le fait que les formations ITCA sont dispensées deux fois par année, pour des groupes de 14 à 16 personnes.

On explique qu’au moment de l’accident, l’orientation est d’avoir au moins un employé avec la formation ITCA sur chaque quart de travail (lors des mesures de transition en 2015, on prévoyait deux employés). On explique également la mise en place d’une panoplie de mesures pour protéger les employés (protecteurs physiques, moniteurs, caméras, avertisseurs, etc.).

Concernant cette défense de diligence raisonnable, le juge énonce que l’accueil des employés vise essentiellement des questions de nature administrative. L’orientation se concentre sur la connaissance de la procédure de travail et n’est pas spécifique aux situations de désorganisation des résidents.

La politique de gestion de crise est une mesure a posteriori alors que la LSST exige une mesure préventive.

Quant à la notion que l’établissement devra fermer si l’exigence de former tous les employés est appliquée, le juge souligne que l’établissement y est parvenu l’année précédente sans devoir fermer et transférer les résidents.

Le juge rappelle également le devoir de prévention. L’établissement doit s’ajuster au fait que le degré de dangerosité est plus élevé et que la « prévention ne peut être moins prioritaire parce qu’elles [les agressions] sont plus fréquentes » (paragraphe 51 des motifs du jugement)

Documenter les agressions et fournir du matériel sont des éléments importants en matière de santé et sécurité, mentionne le juge, mais l’infraction reprochée est en lien avec l’information et la formation.

Défense d’impossibilité d’agir

L’établissement a également soulevé la défense d’impossibilité, soit que l’établissement était dans l’impossibilité absolue d’agir. La réalité à l’effet que les formations ne soient disponibles que deux fois par année a été soulevée.

Or, le juge retient que l’établissement devait envisager d’autres solutions, soit celle d’agents multiplicateurs. D’ailleurs, c’est l’option que l’établissement a finalement retenue. Ainsi, tout en rappelant que l’impossibilité n’existe qu’en l’absence de tout autre choix, il conclut que la preuve est peu convaincante sur cet aspect.

Ainsi, l’établissement a été reconnu coupable de l’infraction reprochée.

Nos commentaires

Cette décision met en lumière le fait que lorsque des mesures visant à corriger une situation sont choisies par un employeur, il ne peut s’agir d’une mesure ponctuelle et temporaire. En effet, il faut que la solution soumise soit implantée et maintenue, si non bonifiée, mais aucune rétrogradation ne sera acceptée.

Si des circonstances exceptionnelles ou des changements importants survenaient, il y aurait lieu de réagir en conséquence, documenter les changements et possiblement les soumettre à l’inspecteur.

Bien que la rareté des ressources, le roulement de personnel, l’obligation de maintien des soins et la lourdeur de la clientèle soient des éléments factuels très réels, il n’en demeure pas moins que la nécessité de mettre en place des mesures de prévention réalistes, réalisables, pratiques et efficaces constitue une obligation légale impérative. Ainsi, la planification de mesures à long terme, l’adoption d’un plan de prévention concret et adapté, ainsi que la révision du plan périodiquement ou selon des circonstances particulières, demeurent les meilleurs outils de prévention.

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.