INTRODUCTION
Le 16 mars 2012, l’arbitre Guy Dufort rendait une décision intéressante en matière de discrimination lors d’une terminaison d’emploi durant la période de probation. L’affaire Centre de la petite enfance Chez-nous Chez-vous et Syndicat des travailleuses (eurs) des centres de la petite enfance de Montréal et Laval CSN1traite de la discrimination en emploi en lien avec l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne2 (ci-après la « Charte »), soit la discrimination en lien avec les antécédents criminels.
LES FAITS
Le plaignant est embauché par le CPE Chez-nous Chez-vous le 23 juillet 2009 ; il est alors soumis à une période de probation d’une durée de 720 heures de travail.
En août 2009, l’employeur apprend, par l’entremise d’une autre salariée du CPE, que le plaignant a fait l’objet d’une enquête à la suite d’un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse (ci-après « DPJ ») qui visait à protéger un enfant, lequel aurait été agressé sexuellement par le plaignant alors que ce dernier travaillait auprès d’un autre CPE.
Il s’avère que le plaignant avait volontairement omis de mentionner cet événement lors de son entrevue d’embauche puisqu’il craignait de ne pas être embauché s’il le révélait3. Selon ce dernier, ce signalement à la DPJ était motivé par un esprit de vengeance de la part d’un parent et ancien directeur général de cet autre CPE. L’enquête de la DPJ aurait duré environ 7 mois et a permis d’exonérer complètement le plaignant.
Toutefois, après avoir été informé de cet événement, l’employeur a décidé de mettre fin à la période de probation du plaignant ; les motifs invoqués par l’employeur sont les suivants :
« – L’impact négatif que pourrait amener une fuite d’informations à l’établissement de l’employeur;
Le risque que les parents en soient informés de façon inadéquate;
Le risque d’atteinte à l’intégrité du plaignant par les parents ou pression des parents à l’égard de la direction pour congédier le plaignant;
Le bris du lien de confiance entre le plaignant et l’équipe;
Le bris du lien de confiance avec l’employeur ainsi que le fait que ces accusations sont en lien avec l’emploi; »
À l’audition, le syndicat demande à l’arbitre de déclarer que le congédiement du plaignant est empreint d’arbitraire, de mauvaise foi et de discrimination, notamment, parce qu’il enfreint la Charte, plus précisément l’article 18.2, lequel se lit comme suit :
« 18.2. Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. »
L’employeur prétend qu’en l’espèce, puisqu’il s’agit d’une terminaison d’emploi en période de probation, la compétence de l’arbitre est limitée à évaluer s’il y a présence de mauvaise foi, d’un comportement abusif, discriminatoire ou arbitraire. Dans ce cadre, l’arbitre ne peut pas évaluer l’opportunité des motifs invoqués par l’employeur.
DÉCISION ET MOTIFS
D’entrée de jeu, l’arbitre établit l’étendue de sa compétence. En s’appuyant notamment sur l’arrêt Parry Sound4, il estime qu’en l’espèce, bien que la convention collective limite le droit au grief pendant la période de probation, il peut exercer un contrôle si une violation aux dispositions d’ordre public est valablement soulevée. Ainsi, puisque le syndicat invoque une violation à la Charte, l’arbitre a compétence pour décider si la décision de l’employeur est empreinte de mauvaise foi, d’abus de pouvoir ou de discrimination.
- L’article 18.2
L’arbitre traite d’abord de l’argument du syndicat voulant que le congédiement du plaignant soit discriminatoire puisqu’il contrevient à l’article 18.2 de la Charte. Ce dernier estime qu’il ne peut retenir une telle prétention. En effet, le plaignant n’avait pas fait l’objet d’une accusation formelle d’agression sexuelle sur un enfant, mais simplement d’une enquête à la suite d’un signalement à la DPJ, lequel n’a pas été retenu. L’arbitre indique que pour que l’article 18.2 s’applique, il faut, notamment, que la personne ait été formellement mise en accusation.
Par ailleurs, l’arbitre estime que le congédiement ne repose pas précisément sur l’enquête de la DPJ, mais plutôt sur l’omission intentionnelle du plaignant d’avoir déclaré cet événement à l’employeur. À cet égard, l’arbitre précise qu’en l’espèce, il n’est d’aucune importance de déterminer si le renseignement non divulgué est en lien ou non avec l’emploi. Ce qui est important est la déclaration mensongère qui empêche l’employeur de connaître l’ensemble des faits pertinents pour prendre une décision éclairée quant à l’embauche ou non d’un candidat.
- La mauvaise foi
Finalement, l’arbitre estime que l’employeur n’a pas agi de mauvaise foi en mettant fin à la période de probation du plaignant. Au contraire, il trouve même ironique que le syndicat invoque la mauvaise foi de l’employeur alors qu’il est plutôt possible de douter de la bonne foi du plaignant lequel a omis volontairement de fournir des informations pertinentes à son employeur, lequel était en droit de les obtenir.
CONCLUSIONS
Ainsi, selon l’arbitre, il semble qu’un candidat doit révéler, lors de son embauche, toutes les plaintes ou enquêtes qui auraient pu être faites à son égard et cela, même si elles ne se sont pas soldées par une mise en accusation formelle. À défaut, celui-ci pourrait être congédié pour déclaration mensongère si l’employeur en est informé après l’embauche. Donc, puisque la Charte n’empêche pas un employeur de questionner un candidat sur ses antécédents judiciaires5, une question à cet effet lors d’une entrevue pourrait même être élargie et inclure, non seulement les antécédents judiciaires, mais également les plaintes, fondées ou non, dont le candidat a pu faire l’objet.
Bien que cette décision soit intéressante pour les employeurs, nous croyons que ceux-ci devront faire preuve de beaucoup de prudence avant d’utiliser de telles informations. En effet, la pertinence et le lien entre des événements passés et l’emploi convoité devront être pris en considération dans le processus d’embauche. Même si ces informations ne sont pas couvertes par la protection de l’article 18.2 de la Charte, le refus d’un candidat sur la base d’une plainte ayant été portée contre lui sans qu’elle ait mené à des accusations criminelles demeure risqu
Il faut également souligner que cette décision n’est pas le reflet d’un courant jurisprudentiel. Par conséquent, il nous semble important de ne pas l’appliquer sans nuance. Il faut faire une distinction entre les informations que l’employeur peut demander à un candidat et les fausses déclarations faites par celui-ci. À notre avis, en matière d’antécédents judiciaires tout comme en matière d’antécédents « non judiciaires », la prudence est de mise. Afin de pallier la problématique entourant ce type d’antécédents, la prise de références peut s’avérer un outil très efficace et moins risqué.
Il sera intéressant de voir si cette décision sera suivie par d’autres arbitres.