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Dans l’affaire L.R. et Compagnie A1, plaidée par Me Lise-Anne Desjardins de notre étude, la travailleuse demande au Tribunal administratif du travail (Division de la santé et de la sécurité du travail) de reconnaître que la fibromyalgie dont elle souffre est en lien avec une lésion professionnelle survenue le 16 janvier 2013. À cette date, la travailleuse trébuche sur un câble et, pour éviter de tomber, se projette contre un mur. Des diagnostics d’entorse cervico-dorsolombaire et d’entorses aux épaules, au genou gauche ainsi qu’au coude gauche sont posés.

Dans cette affaire, le Tribunal profite d’une analyse exhaustive des dossiers médicaux antérieurs de la travailleuse pour en venir à la conclusion que la fibromyalgie était déjà présente avant la survenance de la lésion professionnelle.

La fibromyalgie est un syndrome caractérisé par une douleur chronique pancorporelle associée avec d’autres symptômes subjectifs, dont la présence varie d’un patient à l’autre (i.e. fatigue, troubles de sommeil et gastro-intestinaux, difficultés cognitives, etc.). Bien que l’étiologie de cette condition demeure inconnue, les tribunaux acceptent qu’il puisse être en relation avec un événement traumatique, tel un accident du travail.

Or, la publication d’un article de littérature médicale en 2014 et cité dans la présente décision remet en question ce postulat et propose un cadre d’analyse intéressant pour la gestion de dossiers de fibromyalgie. Dans cet article intitulé Fibromyalgia and Physical Trauma : the concepts we invent2, les auteurs en viennent à la conclusion que la preuve de relation entre la fibromyalgie et les traumatismes est très faible, pour ne pas dire inexistante. Les auteurs postulent qu’une analyse des dossiers médicaux antérieurs à l’événement traumatique identifié comme élément déclencheur du diagnostic de fibromyalgie permet, dans une forte majorité des cas, de constater que la fibromyalgie était déjà présente avant l’événement. Or, si la fibromyalgie préexiste la lésion, elle ne peut avoir causé la fibromyalgie. Ainsi, dans un dossier de lésion professionnelle, ce diagnostic pourrait être considéré comme étant une condition personnelle.

Le Tribunal accorde très peu de valeur probante à l’expertise produite par l’expert retenu par la travailleuse :

« [57]    Le docteur Moussette n’a pas présenté de littérature spécifique sur l’étiologie ou sur l’existence d’une possible relation entre un traumatisme, survenu lors de l’événement du 16 janvier 2013, et la fibromyalgie. Au contraire, le docteur Moussette a admis qu’un article de littérature déposé par l’employeur intitulé Fibromyalgia and Physical Trauma : the concepts we invent est un des articles les plus récents sur la question. Or, les auteurs de l’article concluent qu’il n’y a aucune preuve de relation entre la fibromyalgie et un traumatisme. Voici le résumé de l’article :

Despite weak to nonexistent evidence regarding the causal association of trauma and fibromyalgia (FM), literature and court testimony continue to point out the association as if it were a strong and true association. The only data that appear unequivocally to support the notion that trauma causes FM are case reports, cases series, and studies that rely on patients’ recall and attribution – very low-quality data that do not constitute scientific evidence. Five research studies have contributed evidence to the FM-trauma association. There is no scientific support for the idea that trauma overall causes FM, and evidence in regard to an effect of motor vehicle accidents on FM is weak or null. In some instances effect may be seen to precede cause. Alternative causal models that propose that trauma causes “stress” that leads to FM are unfalsifiable and unmeasurable. »

Or, l’analyse du volumineux passé médical de la travailleuse révèle que cette dernière s’est déjà plainte de douleur chronique diffuse et qu’un diagnostic de fibromyalgie avait été posé 8 ans avant la survenance de la lésion professionnelle. Cette trouvaille contrastait de manière importante avec le témoignage livré par la travailleuse à l’audience, qui, selon le Tribunal, a tenté de minimiser l’importance de ses antécédents physiques et psychologiques. Le Tribunal conclut de la façon suivante :

« [64] La preuve prépondérante démontre plutôt que la condition de fibromyalgie de la travailleuse s’inscrit dans le continuum de son histoire médicale où la travailleuse est aux prises avec des problèmes musculo-squelettiques, des douleurs chroniques exacerbées par le stress et l’anxiété et des problèmes de fibromyalgie notés depuis plusieurs années. Le dossier psychiatrique de la travailleuse est plus qu’éloquent à ce sujet.

[65] La travailleuse avait donc une condition préexistante de fibromyalgie et le Tribunal ne peut retenir que la travailleuse était asymptomatique avant la survenance de la lésion professionnelle du 16 janvier 2013, tel qu’elle tente de le faire valoir à l’audience. Tel que mentionné précédemment, son témoignage n’est pas fiable et, d’ailleurs, la procureure de l’employeur vient souligner que le témoignage de la travailleuse sur ce point est contredit par les notes au dossier. »

En conclusion, nous recommandons fortement aux employeurs d’obtenir les dossiers médicaux antérieurs d’un travailleur qui allègue une relation causale entre un diagnostic de fibromyalgie et un événement lésionnel. L’analyse attentive de ces derniers permettra parfois de démontrer l’existence de symptômes associés à la fibromyalgie avant la lésion professionnelle.