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Depuis quelques années, le Bureau d’évaluation médicale (ci-après « le BEM ») accumule les retards particulièrement dans les dossiers de lésion psychologique ainsi que dans certains dossiers requérant un médecin spécialiste. Les retards, allant jusqu’à plusieurs années, entrainent non seulement le versement d’indemnités sur des périodes prolongées, mais forcent également les employeurs à trouver de nouvelles stratégies pour faire progresser les dossiers et régler les litiges.

Dans une décision récente, le tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») a appliqué une procédure prévue à la loi mais peu utilisé par les parties, afin de permettre à l’employeur de faire trancher les points en litiges par un professionnel de la santé malgré l’impossibilité pour le BEM de mandater un professionnel de la santé dans un délai raisonnable.

Dans la décision Paccar Canada (Usine de Ste-Thérèse) et Leblanc[1], la travailleuse a subi une chute sur les lieux du travail lui ayant causé un traumatisme craniocérébral léger. Ultérieurement, le médecin qui a charge pose le diagnostic de dépression majeure et celui-ci est reconnu par la CNESST comme étant en relation avec le fait accidentel initial.

Dans le cadre de la gestion du dossier, l’employeur obtient une opinion de son médecin désigné, laquelle divergea de celle du médecin qui a charge. Conséquemment, à la demande de l’employeur, le dossier est transmis au BEM, afin qu’un médecin psychiatre se positionne sur les points en litige.

En l’absence de retour du BEM un mois plus tard, l’employeur demande à la CNESST de désigner un professionnel de la santé dont l’opinion devra être liante. Au soutien d’une telle demande, l’employeur invoque l’article 224.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2]  (ci-après « la Loi  »), qui prévoit que le membre du BEM doit rendre son avis dans les trente jours de la date à laquelle le dossier lui a été soumis[3]. L’employeur allègue ainsi l’impossibilité d’obtenir l’avis d’un psychiatre dans un délai raisonnable.

La CNESST refuse de désigner un professionnel de la santé pour obtenir son opinion au motif que le délai de trente jours de la Loi débute uniquement à compter du moment où un médecin examinateur du BEM est saisi du dossier et non à la date où la CNESST fait parvenir la demande au BEM. La CNESST considère que cette décision relève de son pouvoir discrétionnaire.

Le TAT est alors saisi de la contestation par l’employeur de la décision de la CNESST.  Au moment où le TAT entend les parties, soit un an et demi après la demande d’avis au BEM, celui-ci n’a toujours pas transmis le dossier à un médecin examinateur. Dans ces circonstances particulières, le Tribunal doit déterminer s’il y a lieu pour la CNESST d’acquiescer à la demande de l’employeur.

 

La décision

Le Tribunal accueille la demande de l’employeur et conclut que la CNESST doit désigner un professionnel de la santé en raison de l’incapacité du BEM de désigner un membre spécialisé en psychiatrie dans un délai raisonnable.

Pour arriver à une telle conclusion, le TAT procède à une analyse jurisprudentielle de l’application de l’article 224.1 de la Loi. Au terme de cette analyse, le Tribunal arrive au constat qu’il y a une incohérence dans l’application de cet article par la CNESST, puisque dans certaines décisions, la CNESST se déclare liée par le rapport rédigé par le professionnel de la santé, sans exiger la formalité qu’elle impose dans le présent dossier quant au délai de trente jours. À titre d’exemple, dans une décision récente[4], la CNESST avait, de son propre chef, décidé d’avoir recours à son professionnel désigné puisque le BEM tardait à désigner un membre capable de donner son avis relativement au traitement de cannabis médical prescrit par le professionnel de la santé qui a charge du travailleur.

Le Tribunal reconnait que la CNESST dispose d’un pouvoir discrétionnaire, mais rappelle que celui-ci ne doit pas être exercé de façon arbitraire, injuste ou déraisonnable. Le TAT se dit d’avis qu’en rendant une décision selon l’article 224.1 de la Loi, la CNESST respecte l’esprit de la Loi en permettant aux parties de contester la décision et de faire valoir leur point de vue devant le Tribunal. Aucune des parties n’a avantage à ce que le dossier soit paralysé et la solution ne brime pas les droits du travailleur, puisqu’il a toujours le loisir de contester la décision de la Commission qui sera rendue en conséquence[5].

Le Tribunal ajoute que la demande de l’employeur de désigner un professionnel doit être analysé à la lumière des principes de célérité, d’efficacité qui transparaissent de la procédure d’évaluation médicale. Dans le contexte où le BEM n’est plus en mesure de désigner, parmi ses membres, un psychiatre dans un délai raisonnable, « le silence de la Loi ainsi que son application littérale génèrent un résultat incohérent, à savoir : la procédure d’évaluation médicale ne peut pas aboutir. Incontestablement, le législateur n’a pas voulu un tel résultat »[6].

 

L’impact de cette décision

La décision Paccar constitue un premier précédent clair permettant à l’employeur d’envisager une alternative pour contester un point en litige, malgré l’impossibilité d’obtenir un avis du BEM dans un délai raisonnable.

La Loi octroyant à la CNESST un pouvoir discrétionnaire de désigner un professionnel de la santé, il sera intéressant de voir comment elle se gouvernera dans les prochains mois si les délais au BEM ne se réduisent pas.

Il convient de préciser que ce type de demande ne pourrait être accordée que dans le cadre de dossiers de lésion psychologique ou de spécialités pour lesquelles il y a peu de médecins examinateurs.

Nous vous invitons ainsi à considérer davantage ces dossiers « paralysés » en raison des retards du BEM pour faire des demandes de désignation d’un professionnel de la santé à la CNESST, en vertu du troisième alinéa de l’article 224.1 de la Loi.

 


[1] 2023 QCTAT 3989.

[2] RLRQ c A-3.001.

[3] L’employeur a transmis une demande à la Commission afin qu’elle applique le troisième alinéa de l’article 224.1 de la Loi. Il invoque l’article 222 de la Loi au soutien de sa demande.

[4] St-Hilaire et Mondelez Canada inc, 2023 QCTAT 2529

[5] Par. 31 de la décision.

[6] Par. 37 de la décision.