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Un cadre du réseau de la santé et des services sociaux ayant annoncé son départ préalablement à l’entrée en vigueur des dispositions prévoyant l’abolition de son poste ne peut bénéficier des mesures d’atténuation prévues par règlement. Telle est l’issue d’un long débat judiciaire ayant pris fin devant la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest (CSSS Jardins-Roussillon) c. Berthiaume, 2019 QCCA 1665.

Voici l’historique de l’affaire. En décembre 2014, le cadre annonce sa retraite. Il fait les démarches auprès de son employeur et de Retraite Québec afin de bénéficier de prestations de retraite à compter de la date prévue pour sa retraite, au début avril 2015. Le 9 février 2015, la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales entre en vigueur. Cette Loi prévoit (article 189) que le 31 mars 2015, plusieurs postes de cadres sont abolis au sein du réseau de la santé et des services sociaux.

Le Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des agences et des établissements de santé et de services sociaux (ci-après « Règlement ») prévoit notamment des mesures de stabilité d’emploi, dont la possibilité d’obtenir une indemnité de fin d’emploi pour les cadres faisant l’objet d’une abolition de poste.

Ainsi, le cadre réclame de son employeur, à titre de mesure de stabilité d’emploi, l’indemnité de fin d’emploi, équivalant à un an de salaire. L’employeur refuse d’accorder l’indemnité de fin d’emploi au cadre au motif qu’il a déjà annoncé sa prise de retraite avant même l’annonce de l’abolition de son poste.

La question en litige est la suivante : un cadre ayant préalablement annoncé sa retraite, laquelle devait toutefois se concrétiser après la date prévue d’abolition de son poste, a-t-il droit de bénéficier des mesures de stabilité d’emploi prévues au Règlement?

Saisi du grief découlant de cette décision de l’employeur, l’arbitre Me Pierre-Georges Roy conclut que les mesures d’atténuation prévues au Règlement ne s’appliquent pas dans la situation du cadre en question.

L’arbitre base sa décision sur l’intention du législateur qui est de protéger les employés qui, alors qu’ils ne souhaitent pas quitter leur fonction, sont touchés par une réorganisation. Ainsi, selon l’arbitre, ces mesures de stabilité d’emploi ne peuvent s’appliquer à un employé ayant préalablement annoncé sa retraite, et ce, même si elle doit prendre effet après l’entrée en vigueur de l’abolition effective de son poste.

Saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire, la Cour supérieure renverse la décision au motif que le texte du Règlement ne prête à aucune interprétation : l’article 118 du Règlement prévoit que lorsque le cadre choisit l’indemnité de fin d’emploi, il y a rupture du lien d’emploi à la date d’abolition du poste, soit le 31 mars 2015.  La démission du cadre en cause, devant prendre effet dix jours plus tard, devenait, selon la Cour, inopérante puisque le lien d’emploi était déjà rompu.

La Cour d’appel conclut que la Cour supérieure n’aurait pas dû intervenir en l’espèce et est d’avis que l’interprétation retenue par l’arbitre n’apparaît aucunement déraisonnable. Elle conclut également qu’en agissant comme il l’a fait, le juge de première instance a appliqué, sans le dire, la norme de la décision correcte. Elle rétablit donc la décision de l’arbitre.

Commentaires

Cette affaire est d’abord intéressante puisqu’elle constitue un bon exemple d’intervention judiciaire afin d’établir l’intention réelle du législateur. La Cour d’appel reconnait qu’un des principes de l’interprétation des lois est que l’on ne doit pas ajouter au texte, mais indique toutefois qu’il est possible de le faire lorsque l’ajout de mots sert à rendre explicite ce qui est implicite dans un texte législatif. Ainsi, bien que la loi ne prévoie pas explicitement l’absence d’application de ces mesures pour les employés toujours à l’emploi, mais ayant déjà confirmé leur départ, l’interprétation proposée assure un résultat logique et cohérent.

Ensuite, elle est importante puisqu’une conclusion différente aurait pu avoir un réel impact sur les droits de direction des établissements de santé et services sociaux. En effet, si la Cour d’appel avait maintenu la décision de la Cour supérieure, cela aurait pu faire autorité dans le cadre de toute restructuration organisationnelle impliquant des abolitions de postes.

Concrètement, à la suite de l’annonce d’une démission ou d’un départ à la retraite, les directions des établissements auraient pu être empêchées de réviser leurs effectifs et ainsi retarder toute abolition d’un ou de plusieurs postes jusqu’à ce que le départ du ou des cadres soit effectif, à défaut de quoi les établissements publics auraient eu à défrayer les coûts importants engagés par l’application éventuelle de mesures de stabilité d’emploi.

Or, tel n’est pas le cas, et ce, en raison du jugement de la Cour d’appel.