Les personnes recevant des soins dans des établissements de santé et de services sociaux ont le droit de recevoir la visite de leurs proches aux heures et aux conditions fixées par le conseil d’administration d’un tel établissement1.
L’usager est au cœur des services offerts par les établissements et il doit pouvoir recevoir la visite de ses proches2. Cela est d’autant plus vrai dans un C.H.S.L.D. qui héberge un usager et qui a comme mission d’offrir un milieu de vie substitut3. Toutefois, l’établissement doit aussi s’assurer que la prestation des services sociaux et de santé soit de qualité, continue, accessible et sécuritaire pour tous les usagers4.
Que doit faire l’établissement lorsque les visiteurs nuisent à la qualité des soins ou services donnés aux usagers de l’établissement ? Dans quelles circonstances est-il possible de restreindre les droits de visite ?
La restriction des droits de visite, une mesure exceptionnelle
Avant de penser à restreindre les droits de visite, les établissements devraient suivre les étapes suivantes :
- Expliquer les limites du droit de visite. Quand un visiteur semble poser problème, assurez-vous de l’informer des heures de visite5 ou, à défaut, des conditions à respecter. Le visiteur devra également être informé du comportement à adopter et sensibilisé au fait que son comportement peut affecter les soins ou services donnés à son proche, mais aussi ceux donnés aux autres usagers. Lorsque les heures de visite sont terminées, les établissements peuvent requérir d’un visiteur qu’il quitte les lieux et même le faire accompagner par des gardiens de sécurité6.
- Documenter le dossier de l’usager. Si l’usager semble souffrir des comportements excessifs du visiteur ou si certaines restrictions aux droits de visite doivent être imposées pour lui assurer des soins ou services de qualité, cela doit être explicitement consigné au dossier de l’usager.
Si le visiteur refuse de se conformer aux consignes, des démarches supplémentaires peuvent être entreprises :
- Rencontrer le visiteur problématique. S’il persiste à avoir un comportement problématique, il est possible de le rencontrer formellement pour lui rappeler les limites du droit de visite. Cette rencontre devrait être tenue avec plus d’un représentant de l’établissement. Il pourrait également être pertinent de requérir la présence des autres proches de l’usager. Les conclusions de cette rencontre devraient être réitérées dans une lettre envoyée au visiteur.
- Envoyer une mise en demeure. Si le visiteur maintient un comportement inapproprié, il est possible de lui envoyer une mise en demeure indiquant que ses droits de visite sont dorénavant restreints et de quelle façon. À cette étape, la prudence est de mise et l’établissement doit s’assurer que de telles restrictions sont nécessaires étant donné les circonstances.
Malgré ce qui précède, si la situation perdure ou dégénère, l’établissement pourra demander l’intervention du tribunal pour obtenir une injonction. Si elle est accordée, l’établissement pourra requérir une condamnation pour outrage au tribunal dans l’éventualité où le visiteur récalcitrant ne respecterait pas l’ordonnance. Ce dernier pourrait alors être condamné à payer une amende.
Les jugements suivants illustrent justement les recours dont les établissements disposent pour limiter les droits de visite lorsque les visiteurs nuisent à la prestation des services de santé et des services sociaux.
CHSLD Juif de Montréal c. Zimmerman7
En 2009, le C.H.S.L.D. a intenté un recours pour obtenir une injonction interlocutoire restreignant les droits de visite de l’épouse d’un usager à des visites de 10 h à 21 h au rez-de-chaussée du C.H.S.L.D. L’établissement a également demandé que les communications avec le personnel soient réduites à des communications quotidiennes de 15 minutes entre 14 h et 15 h avec l’infirmière ou l’infirmière-chef. Le juge a déterminé que la demande était trop drastique puisqu’elle restreignait les droits de visite de façon importante et a plutôt ordonné à l’épouse de ne pas interférer avec les soins offerts à son mari, de ne pas commettre d’abus verbaux ou physiques contre le personnel, notamment en criant ou en faisant des menaces et de ne formuler des plaintes qu’à l’infirmière-chef ou à la personne la remplaçant.
En 2011, dans l’attente de l’audition sur l’injonction permanente, l’établissement a déposé une demande d’outrage au tribunal puisque l’épouse ne s’est pas conformée à l’injonction interlocutoire rendue en 2009. En effet, elle a continué à formuler des plaintes de façon persistante, à donner des ordres au personnel et à hausser le ton de sa voix. Vu ces circonstances, le tribunal a condamné l’épouse à payer une amende de 5 000 $.
J.(R.) c. CLSC-CHSLD de l’Érable8
Dans cette affaire, l’établissement a réduit les droits de visite du fils de l’usagère à deux heures, cinq jours par semaine, au salon des résidants du C.H.S.L.D. Le fils de l’usagère aurait usé de violence verbale et physique contre cette dernière. Les restrictions ont été formulées lors d’une rencontre avec celui-ci puis par lettre. Le fils de l’usagère a ensuite poursuivi l’établissement en dommages-intérêts suite aux conditions imposées par l’établissement pour l’exercice de ses droits de visite. Le juge a rejeté le recours et a conclu que l’établissement n’avait commis aucune faute en restreignant les droits de visite.
Centre Hospitalier des Vallées de l’Outaouais c. S.(M.) 9
Dans ce cas, la fille de l’usagère avait un comportement problématique puisqu’elle parlait fort, interpelait sans raison le personnel, élevait le volume de la radio dans la chambre de sa mère et la stimulait de façon excessive, ce qui allait à l’encontre de la recommandation du physiothérapeute. La fille de l’usagère a été rencontrée et l’horaire de visite lui a été confirmé par écrit. Toutefois, son comportement est demeuré problématique. Celle-ci a même contrevenu aux directives imposées par l’établissement lorsque l’usagère a été atteinte par une bactérie contagieuse. Une ordonnance d’injonction provisoire a d’abord été accordée par le tribunal. Puis, l’établissement a demandé une injonction permanente pour restreindre les droits de visite de la fille de l’usagère à quatre périodes d’une heure par semaine. Le tribunal a accordé l’injonction et a également limité les communications avec le personnel de l’établissement.
Conclusion
Les établissements ne sont pas sans moyens pour s’assurer que les proches qui visitent un usager hébergé se comportent de façon à ne pas interférer avec les services de santé et les services sociaux. Toutefois, il est important d’user de prudence avant de restreindre les droits de visite puisque les droits de l’usager, mais aussi ceux de ses proches, pourraient être brimés par des limitations ou des conditions trop lourdes, ce qui pourrait exposer l’établissement à un recours.