Dans une décision rendue le 25 février dernier1 , la Cour d’appel conclut que les ressources intermédiaires et les ressources de type familial sont des travailleurs autonomes et non des personnes salariées. Ainsi, les ressources intermédiaires et les ressources de type familial ne peuvent bénéficier du droit de grève et des autres moyens de pression puisqu’on ne peut étendre aux travailleurs autonomes les droits rattachés à la liberté d’association en droit du travail.

Les faits

L’appel porte sur la validité de certaines dispositions de la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant2 (« LRR »). Cette loi établit un cadre de négociation collective s’appliquant aux personnes qui agissent comme ressource intermédiaire ou ressource de type familial (« Ressources ») au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux3 (« LSSSS »).

Les Ressources offrent des services à des personnes en situation de vulnérabilité, comme des enfants ou adolescents en difficulté, des personnes âgées en perte d’autonomie ou encore des adultes avec des déficiences physiques ou des enjeux de santé mentale.

Devant la Cour supérieure, la Centrale des syndicats démocratiques, le Syndicat canadien de la fonction publique, sections locales 4997, 4950 et 5236, ainsi que la Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec ont plaidé que la LRR portait atteinte à la liberté d’association des Ressources en les privant du droit de grève, contrairement à l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés4 et l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne5 . Ils considèrent que cette atteinte à la liberté d’association et son effet pratique, soit l’absence du droit de grève, est injustifiée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne, car il ne permet aucun moyen de pression aux Ressources lors de négociations infructueuses ou encore lors d’un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi par l’autre partie.

Le procureur général du Québec et le ministre de la Santé et des Services sociaux ont plaidé que les Ressources ne sont pas des salariées au sens de l’article 2085 C.c.Q., mais plutôt des prestataires de services au sens de l’article 2098 C.c.Q. La LRR reconnaît effectivement le droit des Ressources de former une association pouvant négocier une entente collective avec le ministre de la Santé et des Services sociaux et, par conséquent, n’entrave pas la liberté d’association. Le ministre et les Ressources doivent négocier de bonne foi. Les Ressources peuvent recourir à la médiation et à l’arbitrage consensuel. Cependant, comme les Ressources ne sont pas des salariées, elles ne peuvent prétendre bénéficier des mêmes droits.

La Cour supérieure a conclu que les Ressources sont des « travailleurs » isolés et vulnérables face à leur employeur, le gouvernement. La Cour considère que la LRR brime leur liberté d’association au sens de l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne et au sens de l’article 3 de la Charte québécoise. Qui plus est, cette atteinte n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique6.

La Cour considère que les Ressources ont droit à un régime de négociation collective incluant le droit de grève ou un véritable mécanisme de règlement des différends. Elle s’appuie sur les conventions internationales liant le Canada ainsi que la jurisprudence de la Cour suprême.

L’arrêt de la Cour d’appel

L’appel est accueilli et la décision de la Cour supérieure infirmée. D’abord, la Cour rappelle que ce qui détermine le statut juridique du salarié, c’est l’existence d’un lien contractuel entre celui-ci et son employeur, caractérisé par une situation de subordination du salarié face à l’employeur. Il en va autrement du prestataire de services ou du travailleur autonome. Dans ces cas, l’absence de lien de subordination (et non l’absence de toute supervision) caractérise la relation avec le client.

Pour la Cour, suivant l’analyse des dispositions de la LRR, il ne fait aucun doute que les Ressources sont des prestataires de services, soit des travailleurs autonomes, puisqu’il y a notamment absence de tout lien de subordination entre les Ressources et les établissements ayant recours à leurs services.

La Cour écarte l’argument terminologique de la Cour supérieure sur le terme « travailleur » utilisé par la Cour suprême, notamment dans l’arrêt Health Services7. Le terme « travailleur » doit plutôt être compris comme un synonyme de « salarié » selon la jurisprudence. En effet, les arrêts de la Cour suprême en la matière font référence à la notion « d’employés/employees » ou de « travailleur/worker » qui sont des mots interchangeables et réfèrent à la notion de salarié.

Ensuite, la Cour rappelle que, selon la Cour suprême, il convient de procéder à une analyse à deux volets afin de déterminer si les activités concernées relèvent du champ d’application de l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne et si l’action gouvernementale, par son objet ou son effet, entrave substantiellement ces activités.
D’une part, la Cour conclut que les Ressources, comme toute personne, ont le droit et le choix de s’unir, de se regrouper et de constituer des associations, afin de faire valoir leurs revendications.

D’autre part, le droit d’association et de négociation collective ne garantit pas l’accès à un modèle particulier de relations du travail. Pour la Cour, on ne peut prétendre que le droit actuel permette à toute personne, peu importe son secteur d’activités, d’être protégée par une liberté d’association comportant les mêmes droits que ceux de réels salariés.

En effet, les travailleurs autonomes, prestataires de services ou entrepreneurs ne forment pas une catégorie suffisamment homogène pour qu’on puisse leur reconnaître les mêmes droits associatifs que les salariés. La différence réside dans le fait que les salariés travaillent pour une entreprise avec un lien de subordination, alors que les travailleurs autonomes travaillent à leur propre compte.

Ainsi, les Ressources ne bénéficient pas de l’intégralité des droits associatifs reconnus aux salariés. En effet, la protection spécifique de l’alinéa 2 d) de la Charte Canadienne et de l’article 3 de la Charte québécoise est réservée aux salariés et associations de salariés. Bien que la Cour reconnaisse que le contenu de la liberté d’association puisse évoluer avec le temps, elle refuse d’étendre aux Ressources (et à l’ensemble des travailleurs autonomes) les droits que la jurisprudence rattache à la liberté d’association des salariés.

Les Ressources ne bénéficient donc pas de cette protection permettant le droit de grève et d’autres moyens de pression.

À retenir

Suivant cet arrêt de la Cour d’appel, il importe de rappeler que bien que la Cour suprême du Canada ait reconnu que le droit de grève est partie intégrante du processus de négociation collective protégé par le droit à la liberté d’association8, encore faut-il que les personnes concernées soient des salariés, et non des cadres9 ou des travailleurs autonomes.


1 Procureur général du Québec c. Centrale des syndicats démocratiques (CSD), 2025 QCCA 216.
2 L.Q. 2009, c. 24; RLRQ, c. R-24.0.2 [« LRR »].
3 RLRQ, c. S-4.2 [« LSSSS »].
4 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 [« Charte canadienne »].
5 RLRQ, c. C-12 [« Charte québécoise »].
6 Précité note 4, article 1.
7 Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27.
8 Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4.
9 Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec 2024 SCC 13.

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