S’il est adopté, le projet de loi 89, intitulé Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out (ci-après le « PL 89 »), modifiera certaines dispositions se retrouvant dans le Code du travail ainsi que dans la Loi instituant le Tribunal administratif du travail . Son objectif vise à mieux prendre en compte les besoins de la population lors d’une grève ou d’un lock-out.

Essentiellement, les principaux changements apportés par le PL 89 concernent l’ajout de dispositions encadrant le maintien des « services assurant le bien-être de la population » ainsi que des dispositions permettant au ministre du Travail d’intervenir dans le cadre d’une grève ou d’un lock-out chez certaines entreprises de secteurs visés s’il est d’avis que la grève ou le lock-out causent ou menacent de causer un préjudice grave ou irréparable à la population.

Certains soutiendront que le PL 89 devrait être élargi pour s’appliquer à un plus grand nombre de services, tandis que d’autres estiment, au contraire, qu’il constitue une entrave substantielle au processus de négociation entre les employeurs et les syndicats. Ces deux changements majeurs compris dans le PL 89 sont abordés de manière plus précise dans les prochaines lignes.

Le maintien de « services assurant le bien-être de la population »

Cette nouvelle expression est définie et utilisée dans les dispositions se retrouvant au chapitre V.1.1 du PL 89.

À cet égard, son article 111.22.3 se lit ainsi :

« 111.22.3. Dans le présent chapitre, on entend par « services assurant le bien-être de la population » les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité. »
(Soulignement ajouté)

Il s’agit là du principe directeur énoncé dans le PL 89.

La mécanique, en apparence fort simple, est quant à elle prévue à l’article 111.22.4 :

« 111.22.4. Le gouvernement peut, par décret, désigner une association accréditée et un employeur à l’égard desquels le Tribunal peut déterminer si des services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out. Un tel décret a effet jusqu’au dépôt d’une convention collective ou de ce qui en tient lieu. Il peut être pris en tout temps avant un tel dépôt. Une copie est notifiée aux parties concernées et au Tribunal. »
(Soulignement ajouté)

Ainsi, le ministre du Travail peut décider que le secteur d’activités qui lie un syndicat et un employeur constitue un « service assurant le bien-être de la population ». Une fois cette désignation faite, l’une des deux parties peut ensuite présenter une requête devant le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») afin que ce dernier se positionne sur la continuité des services assurant le bien-être de la population et ce, uniquement pendant la grève ou le lock-out. En effet, cette ordonnance du TAT est exécutoire seulement pendant la phase des négociations en cours pour éviter que des services essentiels au bien-être de la population ne soient perturbés, évitant ainsi que la décision du TAT ne perdure à long terme.

Les parties ont alors quinze jours pour négocier les services assurant le bien-être de la population à maintenir en cas de grève ou de lock-out et elles doivent ensuite transmettre leur entente au TAT pour approbation. Le TAT évaluera alors la suffisance des services convenus entre les parties et déterminera les ajustements nécessaires s’il les juge insuffisants. À défaut d’entente, c’est également au TAT que revient le mandat de déterminer les services assurant le bien-être de la population à maintenir en cas de grève ou de lock-out ainsi que la façon de les maintenir.

Soulignons qu’une grève ou un lock-out en cours ne prend pas fin avec la décision du TAT d’assujettir les parties au maintien de services, sauf si le tribunal en ordonne la suspension jusqu’à sa décision sur la suffisance des services.

À noter également que ces nouvelles dispositions ne s’appliquent pas au secteur de la santé et ni à celui de la fonction publique, des secteurs où les enjeux de négociation et de gestion des services publics demeurent particulièrement sensibles et pour lesquels le Code du travail prévoit des dispositions spécifiques (articles 111.1 et suivants).

Le « préjudice grave » ou « irréparable » à la population

Les nouvelles dispositions du PL 89 permettent aussi au ministre du Travail d’être plus interventionniste en cas de conflits de travail dans certains domaines particuliers.

À ce sujet, l’article 111.32.2. du PL 89 prévoit que :

« 111.32.2. Le ministre peut, s’il estime qu’une grève ou un lock-out cause ou menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population et que l’intervention d’un conciliateur ou d’un médiateur s’est avérée infructueuse, déférer le différend à un arbitre afin que ce dernier détermine les conditions de travail des salariés compris dans l’unité de négociation en grève ou en lock-out.
Le ministre avise les parties qu’il défère le différend à l’arbitrage.
La grève ou le lock-out en cours prend fin à la date et à l’heure indiquées dans l’avis. À compter de ce moment, les conditions de travail applicables aux salariés compris dans l’unité de négociation sont celles dont le maintien est prévu à l’article 59. »
(Soulignement ajouté)

Ce chapitre du PL 89 ne s’applique pas aux relations du travail visées par les secteurs public et parapublic au sens de l’article 111.2 du Code du travail, c’est-à-dire, le gouvernement, ses ministères, certains organismes du gouvernement, les centres de services scolaires, les commissions scolaires et certains établissements des secteurs public et parapublic. Cette exclusion est significative, car elle reconnaît la spécificité de ces secteurs où les enjeux souvent complexes nécessitent une approche distincte.

Ainsi, le pouvoir donné au ministre du Travail de déférer un différend à un arbitre dans le but de mettre fin à une grève ou un lock-out, demeure balisé même si les expressions « préjudice grave » ou « irréparable » laissent au ministre du Travail une certaine latitude. Évidemment, il est prévu que le ministre du Travail peut exercer ce pouvoir seulement si le différend a préalablement fait l’objet d’une tentative de conciliation ou de médiation. Cette exigence vise à garantir que les démarches de règlement à l’amiable ont été explorées avant de recourir à une intervention ministérielle.

Le PL 89 présente indéniablement de nouvelles balises aux processus de grève et du lock-out. Si la finalité première du PL 89 est de protéger davantage la population dans le cadre d’une grève ou d’un lock-out dans des secteurs visés, le PL 89 présente une restriction supplémentaire au droit de grève que les syndicats pourraient vouloir contester devant les tribunaux à la lumière des enseignements de la Cour suprême du Canada en matière du droit de grève et du droit d’association. Reste cependant à voir si, avant son adoption, des ajustements substantiels seront apportés au PL 89, notamment à la lumière des représentations des associations patronales et syndicales.

Un Projet de loi dont nous suivrons assurément l’évolution pour vous!


1 Projet de loi nᵒ 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out, 2025.
2 Code du travail, RLRQ, chapitre C-27.
3 Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, chapitre T-15.1.

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