Depuis le début des campagnes de vaccination massive contre la COVID-19 au sein de la population, la question à savoir si un employeur peut exiger de ses employés qu’ils révèlent leur statut vaccinal a bien évidemment surgi. Dès lors, une première décision touchant à ce sujet était grandement attendue au Québec.
Me Denis Nadeau a ainsi eu l’occasion de rendre une première sentence arbitrale[1] le 15 novembre 2021 sous forme de décision déclaratoire.
Dans cette affaire, certaines entreprises d’entretien ménager et un syndicat qui représente les salariés de ces entreprises ont soumis à l’arbitre une série de questions quant à la légalité pour ces employeurs d’exiger une preuve de leur statut vaccinal. Ces questions s’imposaient en raison des nombreux clients de ces employeurs qui exigeaient que les salariés affectés à leurs édifices soient adéquatement vaccinés, sans quoi les contrats de service pouvaient être résiliés. La résiliation des contrats était susceptible d’entraîner la mise à pied de salariés affectés à ces entreprises.
Les arguments des parties
D’un côté, la partie syndicale s’opposait à la divulgation obligatoire du statut vaccinal des salariés en vertu du droit à la vie privée garanti par l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la « Charte québécoise »).
De l’autre, la partie patronale plaidait d’abord qu’une telle condition de travail n’était pas sa propre exigence, mais bien une exigence provenant de certains de leurs clients, de sorte qu’il ne lui revenait pas de justifier cette mesure. Ensuite, les employeurs étaient d’avis que la cueillette du statut vaccinal n’enfreignait pas de façon importante le droit à la vie privée des salariés. Enfin, même dans l’hypothèse où il y avait atteinte à ce droit fondamental, cette atteinte était justifiée dans une société libre et démocratique en vertu de l’article 9.1 de la Charte québécoise.
La décision de l’arbitre Nadeau
D’emblée, l’arbitre rejette le premier argument des employeurs. Il détermine que, bien qu’ils ne soient pas les instigateurs d’une telle condition de travail, ils partagent cette exigence et doivent donc être en mesure de la justifier au sens de la Charte québécoise.
Ensuite, il rejette également le second argument des employeurs et conclut que la divulgation du statut vaccinal à la demande d’un employeur viole le droit à la vie privée puisqu’il s’agit de renseignements personnels et confidentiels sur l’état de santé d’un salarié.
Quant au troisième argument, l’arbitre donne raison à la partie patronale puisque cette violation est justifiée au regard de « l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec » (article 9.1 de la Charte québécoise).
Cette dernière conclusion se fonde plus particulièrement sur deux admissions convenues entre les parties qu’elles qualifient de « constats scientifiques actuels » :
« a) S’il contracte la COVID-19, le salarié non vacciné est susceptible de subir les conséquences les plus graves de la COVID-19, et ce, contrairement à un salarié vacciné;
- b) S’il contracte la COVID-19, le salarié non vacciné a une charge virale plus élevée qu’un salarié vacciné, et conséquemment, il est plus susceptible de transmettre ce virus. »
De ces faits admis, l’arbitre conclut qu’un salarié non vacciné est susceptible de mettre en péril non seulement sa propre santé, mais également la santé et l’intégrité physique d’autrui. Par conséquent, ces constats scientifiques s’allient nécessairement à l’obligation de l’employeur d’assurer la protection de la santé, la sécurité et l’intégrité physique de ses employés en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail l[2]. L’arbitre insiste également sur l’obligation partagée des salariés de protéger leurs propres santé et sécurité ainsi que celles de leurs collègues ou des autres personnes qui se trouvent sur ou à proximité des lieux de travail[3].
Ainsi, l’arbitre détermine que le droit à la vie privée peut être subordonné à des « préoccupations sociales supérieures », lesquelles sont déterminantes dans le présent contexte pandémique. Une telle conclusion est soutenue au moyen d’une preuve portant sur le contexte particulier de l’affaire, soit « les constats scientifiques actuels », les objectifs poursuivis par les clients au soutien de leur demande d’attestation vaccinale, la nature des entreprises concernées et le contexte de la pandémie qui est toujours en cours. »
En l’espèce, l’exigence d’une preuve vaccinale devient donc une exigence normale au travail pour les salariés qui sont appelés à travailler chez les clients qui le requiert spécifiquement. Pour les salariés qui refusent la divulgation de leur statut vaccinal, la convention collective prévoit un mécanisme de « transfert administratif » qui leur permet de travailler chez un client qui n’impose pas cette exigence.
Soulignons de plus que l’arbitre rejette l’argument du syndicat selon lequel il est « paradoxal » que des employeurs privés exigent la preuve du statut vaccinal alors que le gouvernement québécois ne l’exige pas. Pour le tribunal, « rien ne conditionne, en effet, la mise en œuvre des obligations des employeurs et des travailleurs prévues à la LSST à des interventions préalables du gouvernement ou du législateur ».
Enfin, bien qu’il s’agisse de la première sentence arbitrale au Québec sur l’exigence d’un employeur de requérir la preuve du statut vaccinal de ses salariés, précisons que la sentence arbitrale ne porte pas sur :
- Le droit d’exiger la vaccination eu égard à d’autres droits fondamentaux prévus à la Charte québécoise, dont ceux à l’intégrité et à la liberté de la personne (art. 1), car la partie syndicale n’a pas abordé ce grief d’interprétation sous l’angle de la prise d’un vaccin ou d’une remise en cause directe de l’obligation de vaccination.
- L’imposition d’une suspension sans solde ou d’un congédiement en cas de refus de divulguer son statut vaccinal (en l’espèce, les salariés refusant une telle divulgation pouvaient en vertu de la convention collective être réaffectés chez des clients qui n’exigeaient pas le passeport vaccinal).
- Le cas de salariés invoquant des motifs médicaux ou religieux protégés par la Charte québécoise pour justifier l’absence de preuve vaccinale puisqu’il a été admis par les parties que ces cas « feront l’objet d’un traitement particulier et individualisé ».
- Les mesures alternatives à l’exigence d’une preuve vaccinale.
Cette liste d’enjeux juridiques auxquels ne répond pas la sentence arbitrale de Me Nadeau laisse donc présager plusieurs autres décisions en matière de vaccination sur les lieux du travail. Cette décision pose tout de même les premiers jalons d’une jurisprudence qui s’annonce foisonnante et qui semble favoriser le droit de l’employeur de requérir à ses salariés en certaines circonstances une preuve de leur statut vaccinal en lien avec la COVID-19.
[1] Union des employés et employées de service, section locale 800 et Services ménagers Roy ltée (grief syndical), 2021 QCTA 570.
[2] RLRQ, c. S-2.1, art. 51.
[3] Art. 49 de la LSSST.