Lors des chroniques précédentes des membres de notre comité de négociation, nous vous avons déjà entretenus notamment qu’il était essentiel pour tout employeur de bien identifier ses besoins et ses objectifs de négociation, et ce, avant d’entamer la négociation avec les représentants syndicaux. Nous vous référerons à cet égard à nos chroniques précédentes toujours disponibles sur notre site Internet.

Lors de la rédaction d’une clause de la convention collective, que ce soit pour les fins d’un dépôt au libellé à la partie syndicale ou bien pour écrire la clause de compromis intervenue en cours de négociation, il faut évidemment s’assurer que cette clause respecte la volonté des deux parties et répondent aux attentes de l’employeur.

Lors de la négociation des vingt-six (26) matières locales prévues à la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic (chapitre R-8.2), l’employeur doit également s’assurer que le texte ne limite pas indûment son droit de gérance prévu aux dispositions nationales, surtout qu’il n’existe aucune durée de vie des dispositions locales.

Une décision arbitrale récente confirmée par la Cour supérieure en décembre dernier et traitant de la question de la création de quarts de rotation par l’employeur, nous permet d’illustrer notre propos.

En effet, cette question sera certainement discutée lors de la prochaine négociation des matières locales, entre autres, avec la FIQpuisque la lettre d’entente relative à la stabilité des postes, à la négociation locale et au déploiement des activités réservées prévues à la Loi 90 y fait expressément référence (Articles 3 et 4 (2).

Dans l’affaire CSSS du Lac-des-Deux-Montagnes(maintenant CISSS des Laurentides), l’arbitre François Hamelin a confirmé le droit de l’employeur de créer et d’afficher des postes avec un quart de travail de rotation déterminé, jour/soir, jour/nuit ou jour/soir/nuit.

Pour les fins de la présente chronique, nous voulons attirer votre attention sur les commentaires de l’arbitre en regard du droit de gestion de l’employeur :

« [80] En fait et en droit, l’article 2 consacre deux principes : la primauté des dispositions de la convention collective sur le droit de direction et le caractère résiduaire et discrétionnaire dudit droit de direction en l’absence d’une disposition de la convention collective sur un sujet donné, pourvu, évidemment, que la décision prise par l’employeur ne soit ni abusive, ni déraisonnable, ni discriminatoire.

[81] Il est important de comprendre qu’au moment de la création de tout organisme, entreprise ou établissement, l’employeur possède tous les pouvoirs discrétionnaires de direction, pourvu que les décisions qu’il prend ne contreviennent à aucune loi. L’arrivée d’un syndicat ne change rien à cette situation, si ce n’est qu’elle oblige l’employeur à conclure une convention collective dont les dispositions régiront le salaire et les conditions de travail des salariés, tout en encadrant, limitant ou annulant le droit discrétionnaire de direction sur certains sujets.Autrement dit, les droits de l’employeur ne peuvent être restreints que par des dispositions précises dans la convention collective, et en l’absence d’une disposition sur un sujet donné, l’employeur conserve intact son droit discrétionnaire de direction selon ce qu’il estime être dans le meilleur intérêt de l’entreprise ou de l’établissement. (…)

[83] En d’autres termes, l’employeur peut diriger librement son entreprise ou son établissement (dans le respect des lois), à moins d’en être empêché, en tout ou en partie, par une ou des dispositions de la convention collective, ce qui, en l’espèce, est à l’opposé de la prétention syndicale selon laquelle l’employeur ne peut rien décider à moins que ladite convention ne l’y autorise. (…)

[85] En l’espèce, le litige porte sur le droit de l’employeur d’afficher des postes dont le quart de travail est dit « de rotation ». Selon les explications qui précèdent, le rôle de l’arbitre n’est donc pas de vérifier si la convention collective autorise l’employeur à afficher de tels postes, mais plutôt si elle contient des dispositions qui règlementent ou limitent le droit de l’employeur sur la question.

[86] Dans l’affirmative, l’arbitre doit appliquer ces dispositions telles quelles ou les interpréter si leur sens n’est pas clair, tout en tenant compte de l’intention manifeste des parties. Dans le cas contraire, il faut conclure que l’employeur a conservé intact son droit discrétionnaire de direction sur le sujet, ce qui signifie qu’il est autorisé à agir selon ses meilleurs intérêts, pourvu que la décision qu’il prend ne soit ni déraisonnable, ni abusive, ni discriminatoire. »

(Nous soulignons)

Après avoir constaté l’absence de définition de quart de travail dans la convention collective, l’arbitre conclut ainsi :

« [94] En l’espèce, dans le réseau de la santé, il y a trois quarts de travail : jour, soir ou nuit. Le paragraphe 13.02 indique qu’au minimum, l’avis d’affichage doit indiquer « le quart de travail » associé au poste affiché, soit jour, soir ou nuit. La clause ne dit pas que l’employeur doit indiquer un quart « stable » de travail, mais uniquement qu’il doit indiquer « le quart de travail ». Une telle mention générale ne permet pas d’induire que le quart de travail sera « stable » ou « de rotation ».

[95] Les paragraphes 16.13 et 16.16 de la convention collective locale démontrent d’ailleurs en effet que les parties elles-mêmes distinguent le « quart de travail » du « quart de travail stable ».

[96] Pour ces motifs, j’estime que « le quart de travail » que l’employeur doit indiquer sur l’avis d’affichage peut tout autant être un quart « stable » de travail (jour, soir ou nuit), qu’un « quart de rotation » (jour/soir, jour/nuit ou jour/soir/nuit), comme en l’espèce. »

(Nous soulignons)

Cette décision de l’arbitre Hamelin permet de faire ressortir toute l’attention qu’on doit apporter à la compréhension du droit de gérance et à la rédaction des textes. Elle permet également de réaliser qu’il vaut mieux débuter le plus rapidement possible cette rédaction puisque cet exercice mérite un haut niveau de réflexion et d’attention quant aux termes choisis. Ceci pourra également influencer la nature des discussions à la table de négociation avec le syndicat. Il est par conséquent important de bien réfléchir à la portée des textes qui seront déposés pour s’assurer de rencontrer les besoins de l’employeur au niveau organisationnel.

 

La présente chronique ne constitue pas un avis juridique et a été rédigée uniquement afin d’informer les lecteurs. Ces derniers ne devraient pas agir ou s’abstenir d’agir en fonction uniquement de cette chronique. Il est recommandé de consulter à cette fin leur conseiller juridique. © Monette Barakett SENC. Tous droits réservés. La reproduction intégrale et la distribution de cette chronique sont autorisées à la seule condition que la source y soit indiquée.