Il est usuel que l’employeur et le syndicat conviennent de dispositions relatives aux libérations syndicales permettant à certains membres de vaquer à des fonctions syndicales tout en préservant leur lien d’emploi avec l’employeur. Ces libérations syndicales peuvent être « avec solde » ou « sans solde ». Dans les deux cas, la personne salarié libérée continue de recevoir son chèque de paie de l’employeur malgré qu’elle offre une prestation de travail au syndicat. Toutefois, lorsque la libération est dite « sans solde », la convention collective prévoit un mécanisme de remboursement par le syndicat des sommes versées à la personne libérée par l’employeur.

Dans l’affaire CIUSSS du Nord-de-l’Ile-de-Montréal et Syndicat des travailleuses et des travailleurs CIUSSS du Nord-de-l’Ile-de-Montréal (décision non rapportée datée du 28 janvier 2020), l’arbitre Jean Barrette devait déterminer les éléments que l’employeur était en droit de réclamer au syndicat dans le cadre de libérations syndicales « sans solde ».

Endossant entièrement les arguments que nous avons plaidés pour l’employeur, l’arbitre Barrette s’éloigne de la jurisprudence arbitrale récemment rendue en la matière et conclut que les libérations syndicales « sans solde » doivent se faire à coût nul pour l’employeur et ce, pour l’ensemble des personnes salariées libérées.

Cette décision repose essentiellement sur l’interprétation juridique faisant ressortir la finalité, l’esprit et l’objet du paragraphe 7.03 des Dispositions nationales de la convention collective intervenue entre le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux et la Fédération de la santé et des services sociaux (CSN), 2016-2020 qui prévoit le mécanisme de remboursement des libérations syndicales « sans solde » et énumère les items à inclure dans le calcul d’un tel remboursement. Il s’agit d’un texte qui se retrouve généralement dans les conventions collectives du Réseau de la santé et des services sociaux.

Ainsi, par opposition aux libérations syndicales « avec solde », lesquelles sont comptées et accordées sous conditions précises, l’employeur n’a que peu de contrôle sur les conditions d’octroi de celles dites « sans solde »1 même s’il continue de verser à la personne salariée libérée « une rémunération équivalant à celle qu’elle recevrait si elle était au travail ». Selon l’arbitre Barrette, en préconisant une telle procédure de remboursement, les parties ont souhaité que les personnes salariées libérées continuent d’accumuler leur service continu et de jouir de leurs bénéfices marginaux et des avantages sociaux même si elles sont au service exclusif du syndicat pendant une période déterminée. En contrepartie de la reconnaissance de ces droits, l’arbitre conclut que le syndicat se doit de rembourser le « coût économique réel assumé par l’employeur » pour ces personnes salariées libérées (par. 136 à 138).

La partie syndicale plaidait notamment que le calcul du remboursement des libérations syndicales « sans solde » devait être distinct selon que la personne libérée occupe un statut à temps complet ou à temps partiel, ces deux statuts bénéficiant de modes de rémunération différents quant aux bénéfices marginaux.

Or, l’arbitre Barrette conclut que même si les modalités de paiement des bénéfices marginaux diffèrent entre les salariés ayant un statut à temps complet et à temps partiel2, ils jouissent de bénéfices marginaux et avantages sociaux équivalents.

En décidant de la sorte, il écarte une décision arbitrale3 qui concluait à la modulation de l’obligation de remboursement du syndicat selon le statut de la personne salariée libérée. Avec égards pour l’opinion de son collègue, l’arbitre Barrette met en doute son interprétation et juge que « cette décision ne respecte pas juridiquement l’intention des parties quant à la finalité d’être « sans salaire » ou « sans solde » » (par. 146).

Soulignons également que la cotisation de l’employeur au Fonds de santé, fixée par la Loi sur la régie de l’assurance-maladie du Québec, RLRQ, c. R-5, doit aussi être incluse dans le calcul du remboursement des libérations syndicales « sans solde.»  Encore une fois ici, l’arbitre Barrette se distancie des conclusions de trois arbitres4 ayant exclu une telle dépense de l’employeur dans ce calcul. S’appuyant sur la finalité de la disposition de la convention collective en litige, l’arbitre Barrette détermine que cette cotisation constitue un des coûts raisonnables que l’employeur doit assumer pour chacune des personnes salariées libérées et que le syndicat a l’obligation de rembourser.

Nos commentaires

De manière générale, si cette décision émane d’un litige issu du réseau de la santé et des services sociaux, sa portée nous apparaît beaucoup plus large et serait applicable à toute convention collective prévoyant un mécanisme de remboursement similaire par le syndicat, à moins que le texte ne soit explicite à l’effet contraire. Ainsi, le principe selon lequel les libérations syndicales « sans solde » se font à coût nul pour l’employeur pourrait notamment s’appliquer aux secteurs visés par la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic, RLRQ, c. R-8.2, tels les commissions scolaires, les collèges, les établissements et certains organismes gouvernementaux reconnus par cette loi et la fonction publique québécoise.

En toute logique, nous croyons qu’il s’agit du seul principe applicable pour éviter que l’employeur n’assume une dépense afférente à un salarié qui ne lui offre aucune prestation de travail pendant la période lors de laquelle il est libéré « sans solde » pour s’adonner à des activités syndicales. Notons toutefois que, le 28 février 2020, le syndicat a introduit une demande de pourvoi en contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’arbitre Barrette.

 

Notes

1 L’employeur ne peut s’objecter à l’octroi de libérations syndicales « sans solde » à moins de démontrer qu’il ne peut assurer la continuité des activités de son service (paragraphes 7.04 et 7.26).

2 « Les salariés à temps partiel reçoivent ces bénéfices et avantages directement sur leur paie, alors qu’ils sont mis en banque pour les salariés à temps complet. » (par. 135).

3 Hôpital Maisonneuve-Rosemont et Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (STT HMR-CSN), catégorie 2: personnel paratechnique, services auxiliaires et métiers (griefs patronaux), 2016 QCTA 384, Me Claude Martin, arbitre; confirmée par la Cour supérieure, 2017 QCCS 646 [Hôpital Maisonneuve-Rosemont]. Bien que la Cour supérieure conclue que la décision de l’arbitre Martin fait partie des issues possibles en appliquant strictement les critères de la norme de la décision raisonnable, notons qu’elle questionne fortement ses conclusions (par. 62 à 65 de la décision de la Cour supérieure).

Hôpital Rivière-des-Prairies et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 313, A.A.S. 93A-292, Me André Rousseau, arbitre; Hôpital Maisonneuve-Rosemont, précitée; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 et CHU de Québec – Université Laval, décision non rapportée datée du 19 décembre 2019, Me Denis Gagnon, arbitre.

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